Le Maghreb des légionnaires.
Du 13 au 15 septembre 2022, le général Belkhir el Farouk se trouvait en Palestine occupée pour une mission de quelques jours. A son arrivée à Tel-Aviv, le chef d’état-major de l’armée israélienne lui déroula le tapis rouge, ce qui engendra la liesse dans les médias marocains proches du Palais royal.
En septembre 2021, le général Belkhir avait remplacé le général Abdelfattah Louarak aux fonctions d’inspecteur général des Forces Armées Royales. Le promu était âgé de 73 ans et le mis au ban avait à peine 66 ans.
A son retour d’Israël, le vieux général Belkhir proposa au Roi Mohammed VI, chef suprême et d’état-major général des Forces armées royales, le départ à la retraite de 16 généraux de divisions et de corps d’armée, de 32 colonels-majors et de dizaines d’officiers. Dix jours plus tard, ces officiers furent tous radiés des cadres. Dounia Filali, la blogueuse marocaine, pense que ce renvoi massif d’officiers de l’armée marocaine s’est fait sur des consignes données par les israéliens lors du séjour du général Belkhir en Palestine occupée. Les services de renseignements israéliens, massivement infiltrés dans les rangs de l’armée et des services de sécurité du Maroc, avaient sans doute identifié nommément les officiers marocains hostiles à la fraternisation devenue patente entre Israël et le Maroc ; le partenariat entre les armées et les services de renseignement du Maroc et d’Israël était resté secret pendant de longues années.
Revenons en arrière :
La tutelle française, imposée aux marocains par Eugène Regnault en mars 1912, s’était renforcée par la protection du Mossad et de la CIA dès 1955, avant même l’indépendance du royaume. L’acceptation du plan relatif au passage de ‟territoire protégé“ par la France à souveraineté protégée par le ‟Monde libre″ était conditionnée par un certain nombre de préalables dont :
►Respect des traités concernant le Maroc et des droits reconnus par les puissances qui en sont bénéficiaires ;
►Permanence de la présence française au Maroc dans l’intérêt des deux pays et dans l’intérêt du monde libre ;
►Reconnaissance de la place et des droits que s’est acquis la collectivité des Français du Maroc.
A son retour d’exil en novembre 1955, le Sultan Mohammed Ben Youssef s’était vu flanquer le lieutenant-colonel Mohamed Oufkir comme aide camp. C’est Pierre Boursicot, patron du SDECE, qui choisit Oufkir pour encadrer le futur roi du Maroc. Il avait déjà servi come aide de camp des généraux Alphonse Juin et Augustin Guillaume, deux résidents du Maroc connus pour leur brutalité et leur arrogance. Soldat au long cours dans l’armée française, ce fils de serviteur de l’armée coloniale élevé au rang de Pacha par le général Hubert Lyautey, fut formé aux techniques du renseignement pendant six ans, entre 1950 et 1955, dans le cabinet du général Duval, célèbre pour les carnages commis dans le constantinois en mai 1945 sur ordre du général de Gaulle. Elevé au rang de source d’information de première importance par la CIA et le Mossad dès 1948 (vidéo), Mohamed Oufkir devint l’œil, l’oreille et le bras du ‟Monde libre” à partir de novembre 1955. Sa mission consistait à ‟construire et à moderniser“ l’armée marocaine aux côtés de Benhamou Kettani, promu général de brigade le 1er août 1954. Précédemment, et depuis 1952, le général Kettani était officier de l'état-major du maréchal Alphonse Juin, commandant en chef du secteur Centre-Europe de l'Organisation atlantique Nord (OTAN). En 1960, pendant sa mission au Congo comme Commandant en chef des forces marocaines mises à la disposition de l’ONU, sa feuille de route consistait à paver la voie au sergent (et futur maréchal-président) Mobutu en écartant de son chemin Patrice Lumumba jugé dangereux pour les gros intérêts du ‟Monde libre” dans la trop riche région de l’Afrique centrale. A côté d’Oufkir, l’homme du général Duval, et Kettani, l’homme du général Noguès, le pétainiste, avant d’être celui du maréchal Juin, le ‟Monde libre” avait adjoint à ce duo le tristement célèbre commandant du 2ème Tabor de l’armée espagnole : Mohamed Mezziane. Les crimes de guerre commis par Mezziane, orthographié parfois Ameziane, lors de la guerre contre Abdelkrim al-Khattabi en 1921, rifain comme lui, puis contre les républicains espagnols pendant la guerre civile, avaient choqué le monde entier. La stratégie de l’épouvante menée par cet officier et ses marocains faite de meurtres, pillages, viols, mutilations et exploits barbares comme l’achèvement le 28 septembre 1936 de 200 blessés soignés à l’hôpital de San Juan au lendemain de la libération de l’Alcazar de Tolède, était si terrifiante qu’elle avait satisfait le général Franco. Impressionné par la cruauté du fidèle berbère, le Caudillo le promut au grade le plus élevé dans l’armée espagnole : Capitaine général, un grade supérieur à celui de général d’armée !
Les états de service de ces trois officiers, tous fidèles serviteurs du ‟Monde libre”, laissent à penser que l’Allied Clandestine Committee (ACC) avait choisi cet état-major pour faire du Maroc un appendice de l’Alliance atlantique. Leur férocité dans la répression qui fit des milliers de morts entre octobre 1958 et janvier 1959 parmi les rifains affamés était la preuve que les centres de décision dans le Maroc ‟indépendant” ne pouvaient ni changer de nature ni changer de camp. La rive sud de la méditerranée occidentale était entre des mains fiables.
Eliminer toute trace d’influence des maquisards de l’Armée de Libération du Maroc (ALM) était une priorité. Certains d’entre eux étaient la cible d’un tir groupé des dirigeants de l’Istiqlal et du Palais royal parce que favorables à la poursuite de l’action armée jusqu’à la libération de l’Algérie. C’était notamment le cas de Abbas Messaâdi, co-fondateur de l’ALM, assassiné en juin 1956 par des policiers pendant qu’il discutait avec Mehdi Ben Barka. La feuille de route de ce trio s’étendait à la répression des syndicats, à la surveillance des associations religieuses, à la castration des formations politiques de gauche et celles jugées proches de l’Egypte nasserienne, à l’étouffement de tout discours subversif et à l’anéantissement physique de toute action hostile à la sécurité du ‟Monde libre″, un Occident très sensible aux manœuvres jugées menaçantes sur le flanc sud des états membres de l’Otan.
Le vice dans cet échafaudage est qu’en mars 1956, le sultan Mohammed Ben Youssef avait nommé Mohammed Laghzaoui directeur général de la sûreté nationale (DGSN), une figure importante de l’Istiqlal et l’une des premières fortunes du Maroc. Les caisses du Sultanat étaient vides. C’est avec ses propres deniers que Laghzaoui finança la création de la police : salaires des policiers, achats d’habillements pour le personnel, véhicules, armes et matériels divers qui servaient au fonctionnement de ce corps de sûreté.
Fin 1959, le ‟Monde libre” s’alarma. L’aile gauche de l’Istiqlal avait pris l’avantage sur les conservateurs et créa sa propre formation politique : l’UNFP. Rapidement, le nouveau parti eut un énorme succès auprès de la population et immédiatement après cela, trois rapports émanant du SDECE, de la CIA et du Mossad parvinrent au Roi. Tous stipulaient que le Maroc était menacé par une dangereuse instabilité et tous trois préconisaient la renvoi de Mohammed Laghzaoui et sa substitution par Mohamed Oufkir (vidéo). Ce fut chose faite en mai 1960. Le commando était au complet et l’UNFP allait s’attendre au pire.
A suivre
Angle mort le 06/11/ 2022