Le 31 mai 2023
Le texte qui suit est le rapport rédigé par Hachemi Hadj-Larbi alias l’adjudant Slimane El-Ouahrani. Il était destiné à Ahmed Ben Bella. Griffonné en français, le manuscrit en ma possession (screenshot) est illisible. Un journaliste d’Echourouk a traduit en arabe ce rapport et l’a publié dans l’édition du jeudi 3 mai 2001. Malheureusement, le traducteur a oublié de mentionner la date du rapport. C’est ce texte que j’ai traduit à nouveau en français.
- J’ai l’honneur de vous informer que lors d’une rencontre à Biskra où Ben Boulaïd me désigna les cibles à attaquer, j’appris de lui que le passage à l’action était prévu pour la fin du mois. C’était le 17 septembre. Toutefois, à l’exception des hommes du Sud de l’Aurès qui avaient bénéficié des entrainements nécessaires, aucun endroit dans le Sud-constantinois n’était organisé et programmé pour les opérations en cours de préparation.
- Le 19 septembre je m’étais rendu à Alger où je remis à Tayeb (1) un rapport sur le manque de sérieux, de discrétion et d’organisation dans le travail. Je lui ai donné quelques idées sur la marche à suivre.
- Le 27 septembre, Tayeb était venu me voir à Biskra. Je lui ai affirmé que la participation des hommes d’El-Oued était indispensable. Je menaçai même de me retirer de cette entreprise si les gens de cette région sont écartés du projet. D’un commun accord, nous avions impliqué à notre entreprise Mohamed Belhadj (2) et nous convînmes avec lui d’une mission en Libye. Après cette entente, Tayeb s’en alla. Je reçus les consignes de cette mission de Bachir Kadi (3) à Tripoli.
- Je me rendis à El Oued où je m’appliquai à préparer cette tâche avec Mohamed Belhadj en compagnie d’un contrebandier de la région. Ensuite, je n’avais plus qu’à attendre le coup d’envoi.
- Le 20 octobre, je reçus 10 à Baniane (4). Le 30, à six heures du soir, me parvint l’ordre de mener les attaques convenues contre les cibles à Biskra à une heure du matin. A neuf heures du soir, après avoir donné les consignes, je me retirai de Biskra pour arriver à trois heures et demie à Baniane. Après cela, nous quittâmes Baniane et les hommes de Tifelfel (5). Enfin, à Biskra, vers une heure treize minutes, et après avoir donné les ultimes instructions sur les cibles suivantes : la caserne, la centrale électrique, le commissariat de police, la poste, le dépôt de la caserne et la gendarmerie. Nous avions profité de l’éclairage public tardif pour exécuter nos raids. Je rentrai à Biskra à la tête de mes hommes dont certains avançaient sous la menace. Je me réservai le jardin public et le cercle des officiers comme cible. Après les explosions et les tirs sur les objectifs qui avaient duré environ une demi-heure, nous ralliâmes les points de retraite que nous nous étions fixés préalablement.
- La mission terminée, nous nous retirâmes. Notre action s’était poursuivie dans les djebels. Des 5 cartouches rouillées, j’en ai pris seulement 2 ou 3. J’ai rédigé un rapport sur nos activités et j’ai réclamé des cartouches et des explosifs.
- Ahmed Abderrazak (6), mandaté par Messali Hadj, contacta Moulay (7) et Renif (8). Ce dernier se mit à notre disposition pour assurer la coordination entre Ouargla, Touggourt, El Oued et les Aurès.
- Enfin, dans les montagnes, les opérations sont limitées au sabotage des lignes téléphoniques, à la liquidation des mouchards, à terroriser les agents de la colonisation et à nous procurer des armes. Toujours sans munitions, j’avais prévu pour le 10 novembre d’attaquer les goumiers de M’Chouneche pour nous emparer de leurs armes. Le 9, je reçus une lettre m’informant que le matériel ramené de Libye par le groupe des 4 (9) était arrivé à El-Oued.
- A Laghouat, la police me repéra. Pourchassé, je décidai alors de retourner à Bechar puis de revenir à El Oued plus tard par une autre voie. Enfin, après avoir remanié le programme de travail avec quelques camarades qui étaient chargés du réseau (nom incompréhensible d’une agglomération) Djelfa jusqu’à Tindouf et Béchar, j’ai été arrêté et emmené à Oran. Après 5 jours d’interrogatoires avec les méthodes habituelles et faute de preuves, ils m’ont relâché.
- Je me rendis à Bechar sans perdre de temps. A nouveau, je fus arrêté et emmené à Oran où je fus confronté à des gens que je n’avais jamais rencontrés. Relâché, je suis resté à Oran une dizaine de jours, hébergé chez des amis. Je décidai alors de ne rien entreprendre tant que le contact avec Tayeb Boudiaf, mon responsable disparu, restait rompu.
- Pendant mes recherches à Alger, qui avaient duré quelques jours, j’appris de quelques militants que Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche, Larbi et Abdelhakim furent aperçus en France deux jours avant l’opération par des témoins dignes de confiance dont Larbi Dmagh-El-Atrous. Je décidai de renouer le contact. C’est ainsi que le frère (10) m’avait mis en contact avec Abdallah (11), son employé. Abdallah m’avait affirmé qu’il est impossible de joindre Tayeb et qu’Abdelhakim se trouvait en Oranie. Toutefois, il me proposa de me mettre en liaison avec l’un de leurs adjoints, le prénommé Mohamed (12).
- Ainsi, après plusieurs entrevues avec cet adjoint, je réussis à joindre Abdelkrim (13) dans la région de Maghnia. Là-bas, il m’avait dit : « je viens à l’instant de voir Boudiaf, tu peux accomplir une mission en Libye en passant par la Tunisie. Je rencontrerai Boudiaf ces jours-ci et je m’entretiendrai avec lui de l’accord sur le véhicule pour se rendre en Libye. Je te communique dès maintenant le mot de passe à employer en Libye : Tourki Saïd, secrétaire au ministère des finances. En Tunisie, le mot de passe est : Madani de Mascara. J’enverrai les adresses à Mohamed à Alger. Arrange-toi avec monsieur Rabah (14) et Didouche pour acheminer les armes vers le nord ; essaie de convaincre Abane pour qu’il prenne les devants et qu’il collabore avec Abdelhakim.
- Comme convenu avec Abdelkrim, l’opération devait débuter au plus tard le 10 mars mais je n’avais réussi à joindre Rabah et Mohamed que le 14 mars, ce dernier devait prendre en charge le gîte. C’est à lui je transmis les instructions d’Abdelkrim. J’ai rencontré Mohamed deux fois parce que lui aussi m’a chargé d’une mission auprès d’Abdelkrim pour l’informer de la décision d’affecter Rabah à Alger, Abane dans la région de Tizi-Ouzou et que le docteur Moto (15) doit partir le 13 avril.
- Enfin, lors de nos rencontres pendant lesquelles nous avions mis au point tous les détails du voyage avec mes hommes vers la Libye, ils m’avaient remis 15 000 frs et m’avaient fixé rendez-vous dans trois jours. Lors de cette dernière rencontre prévue avec Mohamed, arrêté avant mon arrivée de peu, je quittai ce lieu où je m’attendais à rencontrer Rabah que j’avais cherché vainement par tous les moyens pour lui demander des explications.
- En dépit de tout, j’avais maintenu le contact avec El Hachemi (16) et Rachid (17) parce que ces frères sont au courant de toutes les actions qu’entreprennent les camarades dans la ville d’Alger. Ils nous reprochaient le travail d’amateur et désiraient participer aux côté d’hommes conscients dans le Front où chaque patriote serait affecté aux responsabilités qu’il serait en mesure d’assumer. A la fin, ces derniers m’avaient mis en contact avec le nommé El Hadi(18). Par son biais, j’avais cherché à obtenir la somme d’argent nécessaire à l’accomplissement de ma mission. Sans succès à ce jour.
- Je prends le temps qu’il faudra pour faire parvenir mon rapport au sommet de la hiérarchie. Après s’être glissé d’entre les doigts de ces novices, je décidai de m’en aller. Je suis en mesure de dire avec certitude que la vigilance est de rigueur. A mon avis, il faut former un leader à Alger, changer la structuration, former des groupes localement et dans les montagnes, constituer différentes branches et différents comités autour d’une tête pensante dans la capitale.
Notes :
- Tayeb, pseudonyme de Mohamed Boudiaf
- Mihi Mohamed-Belhadj
- Kadi Bachir, désigné en août 1954 par Ben Bella superviseur de la base logistique de Tripoli, il sera secondé par Mihi Mohamed-Belhadj, mandaté par Ben Boulaïd pour convoyer les armes sur l’axe tripoli-Ghadamès-el Oued-Biskra-Ouled Moussa (Ichmoul).
- Une agglomération secondaire au nord de M’Chouneche dans la wilaya de Biskra.
- Tifelfel, village dans la commune de Ghassira, au sud de Batna.
- Ahmed Ben Abderrazak Hamouda dit El Haoues
- Moulay Merbah
- Inconnu
- L’auteur fait probablement référence à Mihi Mohamed-Belhadj, Hamma Lakhdar, Mostafa Lâriche et Belkacem Chekchaka. Ce groupe devait se rendre en Libye et approvisionner les commandos en armes et munitions, il a été retardé par Chihani Bachir sur instruction de Mostefa Ben Boulaïd (Cf. El Hadi Ahmed Derouaz : L’Organisation logistique dans la wilaya VI, Dar Houma 2012)
- Nom illisible.
- Kechida Abdallah dit Mourad.
- Pseudonyme de Rabah Bitat.
- Pour désigner Benmhidi, l’auteur utilise tantôt le prénom Larbi tantôt les pseudonymes Abdelkrim et Abdelhakim indifféremment. Outre Abdelhakim, Benmhidi avait aussi pour pseudonyme Si L’Houari.
- Pseudonyme de Krim Belkacem. Rabah était aussi l’un des noms d’emprunt de Belhadj Abdelkader-Djilali (Kobus), de Ben Boulaïd et d’Abbane.
- Mohamed-Lamine Debaghine
- Probablement Hachemi Trodi.
- inconnu.
- Probablement El-Hadi Badjarah.