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L’Opération Hors-Jeu

22 Octobre 1956

‟Le 11 mai 1955, le gouvernement dirigé par Edgar Faure signe la décision interministérielle qui fixe la mission « Hors-jeu » : la «neutralisation » des principaux chefs du FLN. Le SDECE (les services secrets français) est chargé de la réalisation de la mission (*). La cible A (prioritaire) est Ben Bella, l’influent représentant du FLN au Caire. Paris s’inquiète d’autant plus que l’Égypte du colonel Nasser est devenue le puissant parrain politique et militaire du FLN.”

Les tentatives de liquidation physique d’Ahmed Ben Bella connues sont au nombre de trois mais on parle généralement de cinq. Deux d’entre elles ont été annulées parce qu’elles étaient trop risquées. La dernière opération homo qui l’a ciblé devait se produire en Libye, pendant qu’il attendait le guide qui devait l’emmener au lieu où Abbane Ramdane tenait son congrès. Après quelques jours d’attente, et sans rien voir venir, il avait flairé le guet-apens. Il parvint sans difficulté à convaincre Mohamed Khider, son compagnon, du danger auquel ils s’exposaient à attendre trop longtemps l’estafette promise par Abbane pour les piloter jusqu’à la Soummam puis rentrèrent prudemment au Caire.

Cette mission confiée au 11e choc du SDECE sera couronnée de succès le 22 octobre 1956 quand le prince héritier Moulay Hassan et Mohamed Oufkir, le colonel dont la mission était de liquider l’Armée de Libération du Maroc, livrèrent Ben Bella et ses camarades à Guy Mollet. Les guillemets que met Jean-Pierre Bat, l’historien spécialiste des services secrets français auteur de l’article, au mot neutralisation signifient la liquidation physique des dirigeants du FLN ou, à tout le moins, de la Cible A (prioritaire). L’émotion provoquée dans l’opinion publique par le détournement de l’avion marocain piloté par un équipage français qui transportait les cibles que le gouvernement Edgar Faure avait décidé d’abattre a sauvé les dirigeants du FLN d’une mort certaine. Provisoirement. Les khawa décidèrent alors de prendre le relais du 11e Choc et faire le sale boulot à la place des français qui n’avaient plus besoin de se salir davantage les mains.

François Genoud révèle à Pierre Péan comment les khawa s’apprêtaient à aider le SDECE ?     

‟La grande affaire de sa vie a été l’Algérie. Dans son appartement d’Héliopolis, le retraité s’enflamme en évoquant les noms d’Ahmed Ben Bella et de Mohammed Khider, qu’il cite en tête de son panthéon algérien. A la fin de 1957, Fathi Ed-Dib apprit que certains chefs militaires algériens envisageaient de faire enlever les cinq prisonniers de la Santé, puis de les faire exécuter. En accord avec Nasser, il décida alors de monter une contre-opération préventive d’enlèvement de Ben Bella et de ses amis. Après le rejet d’une première proposition émanant d’un mercenaire italien, une autre offre de services lui parvient par l’intermédiaire d’Issam Khalil, chef des services de renseignement de l’Armée de l’air. Cette opération serait réalisée grâce à deux hautes personnalités allemandes, aidées de hui jeunes néo-nazis, avec le consentement de l’un des directeurs de la Santé qui percevrait en l’occurrence 15000 livres égyptiennes.   

Le plan consiste à déguiser l’un des allemands en officier français qui devra présenter un faux ordre de transfert des prisonniers en vue de leur interrogatoire à la citadelle de Metz. Le directeur sera pris en otage. Une camionnette maquillée en véhicule militaire et deux motos encadreront une voiture privée à bord de laquelle les cinq Algériens seront transportés sous la garde des jeunes allemands costumés en militaires français. Les Algériens devront finalement être livrés, à Mannheim, à Fathi Ed-Dib en personne. Le patron des services spéciaux égyptiens souhaite seulement recueillir l’accord de Ben Bella sur l’opportunité d’une telle opération. L’avocat marocain Abderrahmane Youssoufi, vieil ami de Genoud, est chargé de l’en aviser. Tout est prêt : Fathi Ed-Dib et Issam Khalil, chacun installé dans un hôtel de Mannheim, attendent.  Les allemands informent alors les égyptiens qu’à la demande de Ben Bella, l’opération est retardée de quelques jours. Puis ils y sursoient à nouveau, affirmant que c’est encore à la demande de Ben Bella. Fathi Ed-Dib quitte alors Mannheim pour Le Caire afin de ne pas attirer l’attention des services secrets français, bien implantés à la frontière franco-allemande.  

Une telle opération semble impossible à mener à bien, mais la situation anarchique qui règne en France en ce printemps 1958, alors que la IVe République agonise et que le général de Gaulle s’apprête à prendre le pouvoir, laisse peut-être quelques chances à ses concepteurs. C’est alors que la section allemande de l’Association des amis du monde arabe est mise au courant du projet et alerte François Giroud. Celui-ci fonce à Paris et met à son tour son grain de sel dans l’affaire. Il réussit à entrer en contact tout à la fois avec les prisonniers, via l’avocat marocain Abderrahmane Youssoufi qu’il connait depuis son séjour à Tanger, et avec les membres du commando allemand. Genoud estime que ceux-ci sont vraiment très repérables, que ce soit dans leur hôtel, situé près de la gare de l’Est, ou au Café de la Santé qu’ils fréquentent à proximité de la prison. Il acquiert la conviction que l’entreprise est noyautée par les services français et ne croit pas un seul instant à la trahison du responsable de la prison. Il est même persuadé que ce fonctionnaire n’est qu’un provocateur qui fait le jeu des Français extrémistes, ceux-ci espérant qu’à la suite de cette tentative d’évasion les Algériens seront abattus, ce qui réglera une fois pour toutes le problème du leadership de la ‟rébellion”. Avec l’accord de l’avocat marocain et des prisonniers eux-mêmes, Genoud décide donc de faire annuler l’opération dont il connaît maintenant tous les rouages.   

En compagnie d’Abderrahmane Youssoufi, il part pour Mannheim rencontrer le patron des services spéciaux égyptiens. Fathi ed-Dib se range d’emblée à l’avis de Genoud et met fin à l’opération. Les membres du commando rentrent en Allemagne, où ils se font arrêter avec leurs armes et munitions dont la provenance égyptienne est facilement reconnaissable. Genoud appelle aussitôt à la rescousse son ami Rechenberg, qui contacte un avocat pour tenter d’étouffer l’affaire. Ce qui sera fait”.

Pierre Péan : L’Extrémiste, François Genoud de Hitler à Carlos, Fayard, 1996.

Angle Mort le 23 juin 2022.

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