« Sous-officier dans l’armée française, il était encore instructeur dans l’artillerie au début des années 40. Il ne tarda pas à s’intéresser et à suivre le cheminement du mufti de Jérusalem Hadj Houssaini, dont on sait qu’il rencontra Hitler. Ce rapprochement amena Mohammedi Saïd à s’engager dans la Luftwaffe avant d’être recruté dans les services de renseignements allemands en jurant sur le Coran fidélité au Reich. Pour l’ancien sous-officier français, la toute-puissance militaire allemande était une aubaine : l’ennemi de mon ennemi étant mon ami, il n’y avait pas matière à hésiter. « Je croyais qu’Hitler détruirait la tyrannie française et libérerait le monde », avait-il dit plus tard pour expliquer son engagement SS.
« Rommel, qui occupait la Libye, cherchait à constituer des réseaux de renseignements pour soulever un mouvement insurrectionnel en Afrique du nord, où les Alliés se préparaient à débarquer. En 1942, Mohammedi Saïd, qui avait regroupé autour de lui neuf soldats d’origine algérienne, attendait d’être parachuté pour exécuter sa mission. Le jour de leur largage, le Messerschmitt qui les ramenait vers l’Ouest fut repéré par la chasse anglaise. Le pilote allemand demanda à ses passagers ce qu’ils comptaient faire. Constatant qu’ils survolaient Tébessa, une ville algérienne à proximité de la frontière tunisienne, les membres du commando sautèrent sans hésiter. Une fois au sol, Mohammedi Saïd entreprit de rejoindre la Kabylie, dont étaient également originaires toutes ses recrues. Il se rendit dans un marché hebdomadaire avec son bel uniforme en cuir pour chercher un taxi. Cet accoutrement, porté par un Algérien inconnu dans la région, provoqua aussitôt l’attroupement des paysans enguenillés, ravagés par le typhus et la famine. L’honorable agent de l’Abwehr produisit l’effet qu’il recherchera toute sa vie : être remarqué.
« Entre le moment où l’informateur du caïd vit « l’extraterrestre » et l’arrivée des agents de l’administrateur, il ne se passa pas une demi-heure.
« Mohammedi Saïd fut arrêté pour être libéré en 1952 et mis aussitôt en résidence surveillée. Il passa les dix années de sa détention à cultiver une mystique qui l’habitera à jamais. En prison, l’introspection religieuse eut probablement un effet salutaire pour sa santé mentale ; au maquis, cette tendance aura des conséquences autrement plus dommageables quand il sera responsable. » (1)
Agent de Rommel ?
Il avait 27 ans quand l’enfant prodige de Fort-National, aujourd’hui Larbaâ Nath Irathen, s’engagea dans l’armée française. C’était en 1939. Le 02 septembre de cette année-là, la France déclara la guerre à l’Allemagne. Ne voulant pas être en reste, à partir de juin 1940, le sergent kabyle servira honorablement l’armée d’armistice du maréchal Pétain. En 1942, il s’enrôla dans la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme (L.V.F.) une association créée à Paris le 8 juillet 1941 par Marcel Déat, Jacques Doriot et Eugène Deloncle, les grandes figures politiques françaises de la collaboration. La Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme est la forme archétypale qui servira de modèle aux promoteurs des légions de volontaires arabes contre les soviétiques en Afghanistan et aux créateurs d’Al-Qaïda. Le héros kabyle servira loyalement la France vichyste et l’Allemagne nazie dont il portera l’uniforme. Il ne pouvait pas porter la tenue militaire française parce que la France n’avait pas déclaré la guerre à l’URSS. Toutefois, un écusson tricolore cousu sur la manche droite distinguera le supplétif étranger du soldat allemand. Mohammed Saïd servira dans la « französicher Infanterie –Régiment 638 ».
Hadj Amin Al-Husseini ! la Palestine !
A cette date, 1942-1943, en France, un ouvrier gagnait en moyenne 25 francs par jour travaillé, environ 650 francs par mois, alors qu’un soldat célibataire touchait 1 200 francs et 2 400 s'il était au front. Un adjudant touchait une solde de 5 000 francs et un commandant 10 000 francs. Le sergent Mohammedi recevait probablement une solde d’environ 4000 francs. Ces soldes sont définies dans le guide Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme. Devant le mobile pécuniaire, l’alibi palestinien est grotesque.
Décimée en décembre 1941 près de Moscou où le régiment perd un millier de volontaires (3), la Légion est reconstituée deux mois plus tard avec les rescapés du front de l’Est et de nouveaux volontaires dont le futur chef de la wilaya III. Cette fois-ci la L.V.F ne retournera pas sur les premières lignes du front mais passera deux années à terroriser la population civile biélorusse soupçonnée de soutenir les résistants à l’occupation allemande. Elle accompagne la tristement célèbre Brigade Dirlewanger. Partout dans les pays voisins de l’Urss, mais particulièrement en Biélorussie où l’on recense 186 villages brûlés (4). Les sanguinaires de la L.V.F. et les monstres d’Oscar Dirlewanger pillaient les fermes, brûlaient les villages, tuaient des paysans, pratiquaient le viol collectif des villageoises et torturaient leurs victimes avant de leur couper les testicules qu’ils leur enfonçaient dans les bouches. C’était une grande école pour terroristes professionnels.
En réaction au débarquement anglo-saxon en Afrique du nord le 08 novembre 1942, Pierre Laval, chef du gouvernement, créé la Phalange Africaine. Ses recrues sont des volontaires tunisiens qui s’empressent d’empocher la prime d’engagement puis disparaissent dans la nature, des pieds-noirs et des algériens dont certains venaient de la LVF. Le futur colonel de l’ALN est dans le lot. C’est sur ces phalangistes que Vichy compte protéger l’empire colonial français. Peu de temps après son arrivée près de Tébessa, et en compagnie d’une dizaine de volontaires kabyles, le sergent Mohammedi Saïd est arrêté par des agents de Louis Rivet, commandant du Bureau de Renseignements et d'Action d’Alger (BRAA) qui, en octobre 1943, fusionna avec le Bureau de Renseignement et d’Action de Londres (BRAL) pour donner la Direction Générale des Services Spéciaux (DGSS). La direction de la DGSS est confiée par de Gaulle à Jacques Soustelle qui se trouvait à Alger depuis novembre 1942.
Dès son arrestation, l’artilleur kabyle retourna sa veste et « accepta de faire fonctionner son poste radio sous les directives alliées. C’est pourquoi, bien que condamné aux travaux forcés à perpétuité, il bénéficia d’une remise de peine en 1952 et était libre deux ans plus tard pour prendre rang dans la rébellion » (5). Comme pour Abbane Ramdane, libéré près de 18 mois avant d’avoir purgé sa peine, et probablement pour Ahcène Mahiouz, remis en liberté dans des conditions obscures, Jacques Soustelle, Gouverneur Général de l’Algérie depuis le 1er février 1955, et Henri-Paul Eydoux, son conseiller technique, ancien du BCRA comme Soustelle et qui connait l’Algérie depuis 1933, en ont décidé ainsi. L’expérience acquise dans la L.V.F en Biélorussie lui a grandement servi contre les villageois kabyles, les Béni-Illman en mai 1957 notamment, pour gagner la confiance de Krim Belkacem et s’imposer chef de la wilaya III.
Notes :
- Saïd Sadi, Amirouche : Une vie, deux morts, un testament l’harmatan.
- Bromberger, Serge. Les rebelles algériens. Plon 1958
- Krisztián Bene, Les derniers jours de la légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme : De la bataille de Bobr à la dissolution de la LVF. Verbum Analecta Neolatina XIV/1–2, pp. 39–50
- Alexandra Goujon, « Les villages brûlés, une modalité des représailles nazies en Europe (1941-1944), EHNE 22/3/2021
- Bromberger, Serge. Les rebelles algériens. Plon 1958
Angle-mort le 16/02/2022