Les interlocuteurs valables IV
Témoignage de Kerim Belkacem (1):
« Nous faire venir à Alger alors qu’on a tant à faire chez nous. Bitat et Abane ne peuvent pas se déLes interlocuteurs valables IIIbrouiller tous seuls ?
— Il semble qu’une liaison vienne d’arriver du Caire, le calma Krim. Tu te souviens de l’« Adjudant ». On avait pensé à lui avant le 1er novembre pour commander le Sud.
— Oui. Je m’en souviens. Mais je me souviens aussi qu’on ne l’a pas fait parce qu’on n’avait pas confiance en lui. Il y a quelque chose de changé ?
— Oui, il semble… »
Arrivés à la gare d’Hussein-Dey, les deux hommes étaient descendus. Il y avait peu de chances pour que, dans une petite gare de banlieue, un agent ou un indicateur des R.G. reconnaisse les deux chefs kabyles. Ils avaient gagné Belcourt, puis la boutique d’un laitier dans la haute Casbah où devait se faire le contact avec Bitat.
Ouamrane, toujours friand de laitages, s’était fait donner par leur hôte un grand bol de lait caillé qu’il mangeait accompagné de galettes. Le sergent ne buvait ni ne fumait mais son péché mignon était les laitages et les piments. « L’un pour apaiser l’autre… un vrai plaisir », répétait-il. Krim, lui, n’aimait pas beaucoup l’odeur un peu sure qui régnait dans l’arrière-boutique. Mais le laitier était un homme de confiance et sa boutique, l’idéal pour un contact discret.
Bitat et Abane arrivèrent bientôt. Les deux hommes étaient vraiment à l’opposé l’un de l’autre. Bitat, grand, maigre, peu disert, timide ; Abane, petit, fort, violent, loquace. Mais à Alger les deux hommes se complétaient merveilleusement et semblaient faire un bon travail de réorganisation. Les quatre chefs du F.L.N. se saluèrent. Ouamrane, toujours méfiant, jeta un coup d’œil dans le magasin où le laitier servait ses pratiques du matin et referma la porte.
« Voilà pourquoi je vous ai fait venir d’urgence, commença Bitat. J’ai eu un contact avec Djouden, l’Adjudant (2).
— Et comment ? demanda Krim.
— À la Casbah, c’est lui qui a cherché à nous joindre. »
Djouden, l’Adjudant, un responsable M.T.L.D. de Bouira, avait contacté certains nationalistes qu’il connaissait en disant :
« Je voudrais voir Si Mohamed (Rabah Bitat), Sergent (Ouamrane) et M. Krim. »
Pour ce dernier, il n’avait pas employé de surnom. L’Adjudant n’avait aucun contact avec l’état-major F.L.N. d’Alger et avait été« à la pêche », supposant que sa demande arriverait aux oreilles de Bitat. Ce qui n’avait pas manqué.
« Cela nous a paru bizarre, dit Abane prévenant une question qu’allait poser Krim, il ne prenait guère de précautions. Mais à la Casbah et en s’adressant à certains hommes, comme il l’a fait, il ne risquait pas grand-chose. »
Bitat avait rencontré l’Adjudant. L’impression avait été favorable d’autant que Ben Boulaïd et Ben M’Hidi l’avaient proposé, quelques mois auparavant, pour prendre la direction d’un maquis dans le Sud.
« Il revient de Tunis, poursuivit Bitat. Là, il a été en contact avec Ben Bella qui l’a chargé d’une mission.
— Il avait une lettre ? demanda Ouamrane toujours méfiant.
— Non, c’était trop risqué, nous a-t-il dit. Donc il a vu Ben Bella qui lui a expliqué que les moyens manquaient terriblement pour ravitailler les maquis, mais qu’il avait tout de même des armes et qu’il avait trouvé un moyen de les parachuter !
— Les parachuter ?
— Oui, et chez toi en particulier. En Kabylie où c’est à peu près calme. D’ailleurs il va vous expliquer cela lui-même. Je l’ai convoqué.
— Ici ? S’étonna Abane.
— Quelqu’un le conduira. J’ai pris mes précautions. »
L’Adjudant arriva à l’heure dite, se montra enjoué, sûr de lui, convaincant. À nouveau il raconta son histoire. Le contact tunisien avec Ben Bella, le parachutage. Il sortit même une carte« scout » de la Kabylie.
« Il faudrait que vous fixiez le point où le parachutage sera fait. »
Krim qui au début avait trouvé cette histoire trop bien présentée, racontée d’une traite — « Il l’a apprise par cœur », pensa-t-il —, reprit confiance se reprochant même d’être trop méfiant. La désorganisation avait été telle qu’il ne fallait pas refuser le premier contact qu’on parvenait à renouer avec « ceux de l’extérieur », surtout lorsqu’il apportait de bonnes nouvelles.
« Il faudra baliser le terrain, poursuivit l’Adjudant. Le mieux, pour ne pas se faire repérer des militaires, est de mettre les feux de balise dans des caisses. Ainsi on ne les verra que d’en haut. »
Ouamrane — le Sergent — apprécia l’initiative de l’Adjudant. Celui-ci apportait encore des détails, donnait des gages de sa sincérité, tenait à convaincre ses interlocuteurs.
« Ma femme est polonaise, expliqua-t-il. Elle vit à l’hôtel du Muguet. Moi, je suis prêt à me mettre à votre disposition pour vous aider à trouver et à acheminer des armes venant de l’extérieur. Ce que je vous demande, c’est d’assurer la vie de ma femme. Si vous pouviez lui fournir à peu près 30 000 F par mois… »
Tout était réglé. L’Adjudant adopté. On décida de se retrouver une semaine plus tard pour que Krim puisse communiquer le lieu exact choisi pour le parachutage.
« Tu passeras mardi matin chez le tailleur de la rue du Vieux-Palais, près du café Malakoff, précisa Abane. On te donnera l’endroit du rendez-vous. »
Les cinq hommes se séparèrent, enchantés de cette réunion dont le résultat pouvait apporter à la révolution une aide appréciable.
Ouamrane regagna la Kabylie. Il ne fallait pas laisser la région sans responsable. Surtout depuis l’arrestation, au cours d’une opération militaire, d’Er-Riffi et de Zamoum Ali. (…) Le moral des hommes en avait pris un coup et il ne s’agissait pas de les laisser seuls à trop réfléchir sur la faiblesse de leurs moyens. En outre, Ouamrane devait voir sur place quel serait le lieu idéal pour un parachutage d’armes. Krim, lui, décida de rester une semaine à Alger.
Le lundi 21 mars, Driss Amar, un émissaire d’Ouamrane, arriva vers 20 Heures à Alger. Il contacta tout de suite Krim au sixième étage de la rue Marengo chez Laskri Hocine, le camionneur qui l’hébergeait. Il apportait le lieu choisi pour le parachutage, compte tenu de l’implantation militaire en Kabylie et de l’importance des déplacements de troupes. Puis les deux hommes passèrent à l’étude des différents problèmes qui se posaient en Kabylie. Ils travaillèrent toute la nuit car Driss Amar devait regagner son poste le lendemain matin. Krim pensa qu’il devrait lui aussi repartir assez vite. Mais il voulait qu’Abane soit parfaitement au courant avant de le laisser seul avec Bitat.
Le mardi matin, Krim apporta à Bitat, dans l’appartement des Tagarins, une carte où le lieu du parachutage était marqué d’une croix. Il en garda le double.
« Où vas-tu rencontrer l’Adjudant ? demanda Krim.
— À la Casbah, dans le petit café au coin des rues Henri Rivière et du Rempart-Médée. Je fais prévenir le tailleur pour donner le lieu de rendez-vous. Ce sera à 11 Heures. Tu viendras avec moi ?
— Non ! Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai travaillé. Je vais essayer de me reposer. Vas-y seul. On n’a pas besoin d’être à deux pour remettre une carte.
— Oui, tu as raison. »
Bitat qui s’était familiarisé avec Alger et qui avait repris confiance décida de « faire une tournée » dans Alger. Il verrait Yacef et quelques-uns de ses hommes.
« Je m’en vais. Abane doit revenir vers midi et demi. »
Krim sommeillait déjà.
L’Adjudant descendit en sifflotant les escaliers crasseux du boulevard Gambetta où des gosses jouaient en permanence. Pourtant, il n’avait pas le cœur à siffler. Il jouait gros. Tout à l’heure, en sortant de chez le petit tailleur — « Un brave type, lui avait dit Bitat, quand je me suis installé à Alger il m’a fait en trois jours trois costumes pour que je n’aie pas l’air d’un paysan de la montagne. Et il me les a comptés 28 000 au lieu de 35 000 ! C’est un ami. Tu pourras toujours me joindre par lui » —, il s’était arrêté, dans la foule de la place du Gouvernement, près d’un Européen absorbé dans la contemplation des livres exposés au kiosque à journaux.
« Ce sera à 11 Heures, dans le café au coin de la rue Rivière et de la rue Rempart-Médée », lui avait-il glissé à mi-voix. Puis il avait poursuivi son chemin, remontant vers les tournants Rovigo.
Le commissaire Loffredo avait immédiatement prévenu Gonzales (3), le nouveau patron des R.G. :
« Ça y est, on tient Krim et Bitat ! »
Depuis Bouira, depuis des années, il connaissait l’Adjudant. Il l’avait contacté par un homme que « manipulait » Gonzales, un parent d’Aït Ahmed, l’un de ceux qui étaient au Caire. C’est sur les ordres des Renseignement généraux — qui reprenaient pied après le « grand vide » provoqué par la mutation des inspecteurs et commissaires « Borgeaud » — que l’Adjudant avait établi le contact avec les chefs F.L.N. et leur avait « vendu » l’histoire des armes de Ben Bella. Maintenant que le piège allait se refermer, Djouden devait jouer serré. Il tourna à gauche dans la rue Henri Rivière qui débouchait sur l’un des paliers des escaliers du boulevard Gambetta. Le café maure se trouvait à moins de cinquante mètres.
« Avec un peu de chance, avait dit un commissaire à l’Adjudant, les quatre seront là comme lorsque tu les as contactés. Avec une opération comme celle-là tous nos ennuis seront terminés, la rébellion écrasée dans l’œuf ! »
L’Adjudant s’assit à l’une des trois tables poisseuses qui constituaient la « terrasse » du café. À une table voisine, un vieux qui semblait avoir cent ans avait appuyé son menton sur ses mains croisées sur une canne montagnarde. Sous un turban immaculé, son visage aux mille rides semblait calme, reposé, déjà détaché des choses de ce monde. Ses yeux bleus délavés voyaient-ils seulement les passants de la rue du Rempart-Médée ?
« Alors, Adjudant, ça va ? »
Djouden sursauta. Bitat était devant lui, souriant. Il lui serra la main.
« Tu es seul ?
— Oui. Mais j’ai tout ce qu’il te faut. »
Après avoir commandé deux thés au gosse en haillons qui tenait lieu de serveur, les deux hommes bavardèrent à mi-voix. Bitat expliqua le choix du lieu et passa la carte à l’Adjudant.
« Bon, je vais m’en aller, dit Bitat. Il n’est jamais prudent de rester trop longtemps au même endroit. C’est la règle. »
L’Adjudant se sentit pâlir. Mais qu’est-ce qu’ils foutaient, les flics ? Ils attendaient peut-être les autres. Et ils allaient perdre tout le monde ! L’indicateur fit un mouvement pour se lever. Un coup de sifflet retentit. De toutes parts, de la rue Henri-Rivière, de la rue du Rempart-Médée, de la ruelle transversale surgirent des inspecteurs, pistolet au poing.
« Les mains en l’air, ne résistez pas. Vous êtes encerclés. »
En un instant, Bitat eut les mains jointes par les menottes.
« Allez, toi, en route. » Bitat eut un regard pour l’Adjudant dont les policiers semblaient se désintéresser. Celui-ci se détourna. La première partie de la mission était accomplie. Il s’agissait maintenant d’avoir les autres ! Discrètement, il s’écarta du groupe armé. Seul le vieux le suivit de ses yeux bleus délavés.
Yacef était essoufflé lorsqu’il arriva dans l’appartement des Tagarins.
« Qu’est-ce qu’il t’arrive ? lui dit Krim, tu es blanc comme un linge.
— Si Mohamed vient d’être arrêté par la police, le tailleur du Vieux Palais vient de me prévenir. L’Adjudant a réussi à s’échapper. Il nous donne rendez-vous à 14 Heures au café du Mûrier à Belcourt.
— Pas question, n’y va pas, toi ! C’est suspect, cette histoire. Je n’ai pas du tout confiance en cet Adjudant. On va même filer d’ici. Bitat connaît cette cache puisqu’il y habite. Et il peut être torturé. Où peut-on aller ?
— Chez H’Didouche, mon beau-frère
— Laisse un agent de liaison dans les parages pour prévenir Abane qui ne doit pas tarder. Qu’il aille se cacher rue de Chartres. Il connaît. »
Chez H’Didouche il y avait le beau-père de Yacef.
« Tout Alger te recherche, dit-il à Krim. J’étais au café Malakoff, la porte à côté de chez Aïssa, le tailleur, quand la police est arrivée. Un flic lui a dit : « Allez, » tu es fait. Et ton ami Krim, on le tient. Il va te » rejoindre. En prison. Dans une demi-heure, il sera » dans un café de Belcourt. Au Mûrier. Tu vois, on » sait tout. Alors il ne te reste pas grand-chose à » raconter, mais tu vas le faire tout de même. » Et ils l’ont emmené. »
Krim et Yacef avaient compris. Seul l’Adjudant connaissait le rendez-vous. C’est lui qui avait « vendu » tout le monde. À Alger l’alerte était donnée. La police voulait Krim. Les recherches étaient concentrées sur la Casbah. Des barrages établis en ville et sur les routes. Krim devait regagner la Kabylie. Fin de citation.
Témoignage de Kechida Aïssa (4):
Boudiaf me demande à voir el Hadj al Arabi el Hachemi dit Slimane ladjoudane (certains le nommeront Djouden) surnommé ainsi a cause du grade qu’il avait dans l’armée française : adjudant. C’est un ancien chef de daïra qui, profitant de la crise interne du parti, s’est retiré de l’activité politique et a pris la responsabilité commerciale au sein de l’imprimerie du parti, située à la rue Mohamed-Seghir Saâdaoui ex rue Borély-la-Sapie.
Pour la représentation commerciale, il fallait avoir une tenue correcte et un aspect présentable. Il avait besoin de mes services en tant que tailleur pour être convenablement habillé. Il est devenu un client et a sollicité mon aide pour lui trouver une demeure. Etant d’un âge avancé, il s’est épris d’une jeune femme qui le pressait d’honorer sa promesse de mariage. Il aimait passionnément cette femme et ne parlait que d’elle. Il en était obsédé et me semblait prêt à tout pour réaliser son projet. Quand Boudiaf me demande mon appréciation sur ladjoudène, je lui décrivis sa situation sociale et morale. Mon jugement était négatif. J’estimais qu’il était un passionné et qu’il ne pouvait se décharger pour se consacrer totalement à une activité politique qui exige en ce temps notamment, l’abandon d’une vie paisible de famille. Boudiaf me dit qu’on ne pouvait trouver l’idéal partout.
Ladjoudène, dans le cadre de ses activités partisanes, a démontré ses aptitudes à encadrer des militants et faire un travail constructif. Ces qualités, alliées à sa carrière militaire, lui ont valu une promotion au poste de chef de daïra. Si Tayeb me demande d’organiser une entrevue avec l’intéressé. La rencontre a eu lieu dans mon magasin et Boudiaf convainc ladjoudène à intégrer le mouvement de la 3eme voie. Ce dernier sera mis à la disposition de Ben Boulaïd qui, en accord avec Boudiaf, l’affectera dans la région de Biskra en vu de préparer, avec d’autres militants, dont Berrehaïl et Abdelkader Lamoudi, les structures de l’éventuelle Wilaya VI.
(…)
Il y avait également à Biskra Hadj-Larbi Hachemi dit ladjoudène Slimane qui participa à la mise en place des structures destinées à servir d’assises à la Zone 6 du Sud. Faute de cadres, elle est rattachée à la Zone 1 des Aurès.
(…)
Bitat [en prison] me narra les circonstances qui ont présidé à son arrestation par la faute de l’élément trouble qu’était Slimane ladjoudène. Ce dernier, qui était en poste dans la région de Biskra, avait participé aux premières actions de la lutte armée. Il déserta son poste de responsable et voulut rejoindre Alger. En passant par Boussaâda, il est arrêté et relâché sans que personne ne le sache à ce moment-là.
Muni d’une carte d’état-major, il réussit à berner Rabah Bitat en lui faisant croire que Ben Boulaïd l’avait chargé de constituer une structure au niveau national composée de groupes mobiles ayant pour mission l’acheminement des armes. Il invite Rabah Bitat à réunir les responsables de zones pour étudier en commun ce projet.
Bitat n’a pu contacter Ben M’hidi à Oran. Il arrive à toucher Krim et Abbane qui déclinent l’invitation. Bitat se rend seul au rendez-vous qui lui a été fatal. C’était un traquenard. Il est arrêté par la D.S.T dans un café à Bab-Djedid, à la Haute-Casbah, le 16 mars 1955.
Rabah réussit à avaler une capsule de cyanure et ce n’est que lorsqu’il arrive dans les locaux des services de sécurité qu’un policier s’aperçoit que Bitat est en train de tourner de l’œil. Les agents de la D.S.T lui font ingurgiter des breuvages pour tout vomir, procèdent à un lavement d’estomac et commencent leur interrogatoire.
Slimane ladjoudène persiste dans la trahison et sera enrôlé en tant qu’officier dans les rangs des G.M.P.R. Alors que j’étais prisonnier transitaire à Oran, nos éléments de l’Ouest me font savoir que ladjoudène, qui avait sévit dans la région de Nedroma, aurait reçu le juste châtiment. Fin de citation.
Notes :
Le témoignage de Krim Belkacem est rapporté par Courrière Y. dans Le Temps des léopards, Fayard, 1969. Dans la postface de son livre “Les Fils de la Toussaint” il écrivait ceci : « Je tiens à remercier tout particulièrement M. Krim Belkacem qui au long des mois m’a raconté les détails d’une histoire qui fut aussi tragique pour son pays que pour le mien. Il y mit une objectivité, un souci de la vérité et du détail dont je veux le remercier ici. ».
En août 2012 Bernard Golay, l’ami suisse de Krim Belkacem, révélait à Jean-Jacques Odier, de la revue Initiatives et Changement, que « C'est durant cette période [1964] que je lui fais rencontrer l'écrivain et journaliste Yves Courrière. Ils travaillent plusieurs jours ensemble pour mettre au point les quatre volumes dans lesquels Courrière retrace en détail la Guerre d'Algérie ». Ces deux témoignages m’autorisent à dire que la version rapportée par Yves Courrière est celle de Krim Belkacem.
Bien qu’il fût très proche des services de police, proximité qui lui permettait d’obtenir des informations sur Hachemi Hadj-Larbi dit ladjoudane, Courrière n’a pas mentionné une seule fois le nom et le prénom d’état civil lui préférant le dégradant ladjoudane.
Michel Gonzales, né d’un père espagnol et d’une mère italienne, commence sa carrière comme instituteur à Sidi Moussa où il avait comme élève Hachiche Tahar. Celui-ci, avec Ahmed Zaïdet - tous deux des souteneurs – seront, en avril 1955, les chevilles ouvrières dans le montage de l’opération au nom de code “Force K.”, opération qui avait permis à Krim Belkacem de jouer les premiers rôles du début de la guerre jusqu’à la signature des Accords d’Evian.
En avril 1955. Outre le français, l’espagnol et l’italien qu’il parle couramment, Gonzales se débrouille bien en arabe. En 1940, le lieutenant Gonzales surveille les troupes italiennes le long de la ligne Mareth, dans le Sud tunisien. Après ses incursions clandestines en territoire libyen, facilitées par sa maitrise de l’italien et de l’arabe, il est repéré pour ses aptitudes d’espion. Démobilisé en août 1940, mais tout gardant son statut militaire, il est affecté à Bejaïa en qualité de chef de la circonscription de police. Après quelques mois, il est promu commissaire des R.G à la Casbah, le 7 novembre 1942.
Tout en étant chef du service des renseignements généraux de 1943 à 1944, il est nommé, chef de service au Comité Français de la Libération Nationale, puis au Gouvernement Provisoire de la République Française. Chargé de la liaison entre le Commissariat à l’Intérieur et le général De Gaulle, il collabore avec la Direction générale des services spéciaux (D.G.S.S) et ensuite avec la Direction Générale des Etudes et de Recherche (D.G.E.R) que commande Jacques Soustelle. En liaison avec les Affaires Etrangères, il collabore à la constitution du gouvernement autrichien en exil.
En mai 1945, il est de retour en Algérie en qualité de « Délégué du ministre de l’Intérieur chargé de la liquidation d’affaires demeurées en suspens ». Le fanatisme qu’il avait mis dans sa participation aux massacres du mois de mai lui valu promotion à titre militaire au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur.
Jusqu’en 1953, il est chef de cabinet du Directeur général de la Sécurité générale en Algérie. De 1953 à 1955, il exerce les fonctions de Sous-directeur des Renseignements généraux en Algérie.
Le 15 février 1955, Jacques Soustelle arrive à Alger. Immédiatement après, le nouveau Gouverneur de l’Algérie nomme Michel Gonzales chef de la Police des Renseignements généraux d’Alger et de l’Igamie (Alger, Médéa, Orléansville et Tizi-Ouzou), poste qu’il conservera jusqu’au 1er mai 1958.
Michel Gonzales était un spécialiste confirmé du renseignement dans le milieu où s’échangeaient les confidences sur l’oreiller. Il avait à son actif une armée entière de barbeaux qui lui servaient d’indics.
Kechida A. Les Architectes de la révolution, Chihab, 2010
Angle mort, le 23 mai 2023