Messali hadj, l’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait.
Avril 1952. Le département de Constantine est désormais interdit d’accès à Messali hadj. Le 15 mai, il arrive dans les faubourgs d’Orléansville (Chleff). Des policiers empêchent des militants et des sympathisants de s’approcher de lui. Ils tirent sans sommation sur la foule : deux morts et plusieurs blessés. Messali est arrêté puis immédiatement conduit à l’aérodrome d’Alger d’où il est forcé de prendre un avion pour l’aéroport militaire de Villacoublay, dans les Yvelines. Désormais, les trois départements d’Algérie lui sont interdits.
Expulsé de son pays, Messali est placé en résidence forcée à Niort, dans le département des Deux-Sèvres, où il est surveillé jour et nuit. Tous les autres départements lui sont interdits. Cette mesure n’est pas suffisante : le 1er octobre 1954, il est déplacé aux Sables-d’Olonne, sur la côte Atlantique, où il est astreint à résider dans des conditions pénibles. En avril 1955, il est transféré à Angoulême, dans le sud-ouest de la France. Le 24 mars 1956, il est à nouveau déporté. Cette fois-ci il est déplacé à Belle-Île-en-mer, un caillou dans l’Atlantique, au large du Morbihan, où il passera des hivers rigoureux. Le 16 janvier 1958, toujours sur cette île où les conditions du séjour sont éprouvantes, « le prisonnier de la mer » est transféré à un autre lieu. Le 17 janvier 1959, il est assigné à résidence à Chantilly, dans le nord de la France. Là, il échappera de peu à la troisième tentative d’assassinat, les deux premières avaient été commanditées en 1954 à Mourad Tarbouche par Mohamed Boudiaf. Le premier sera tué en 1972 d’une balle entre les yeux à Tunis et le second sera troué de balles à Annaba en 1992. Le sanglant spectacle était passé en direct à la télé. Messali ne sera libéré que le 10 mai 1962. Pour autant, son calvaire, commencé dans les années vingt, ne cessera pas à sa mort, en juin 1974.
Abane Ramdane, l’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait.
Juillet 1953. Profitant des célébrations de la Fête nationale du 14 juillet, Abane Ramdane obtient une remise de peine de 7 mois et 6 jours. Le 10 septembre 1953, il est transféré de la maison centrale d’Ensisheim à la maison d’arrêt d’Albi. Comparées aux conditions carcérales inhumaines qui distinguaient les maisons centrales, celles en vigueur dans les maisons d’arrêt sont supportables. En février 1954, sa peine est à nouveau réduite de 6 mois et 14 jours. Cette fois-ci, il bénéficia des largesses du décret du 15 février 1954 portant « grâces collectives du 16 janvier 1954 », des généreuses mesures offertes par René Coty à l’occasion de son investiture à la présidence de la république en remplacement de Vincent Auriol, le 16 janvier. Le journal Le Monde précisait que “l'exécution de ces mesures gracieuses sera suspendue jusqu'à décision du président de la République, à qui il en sera référé dans le délai de deux mois, à l’encontre des détenus dont la conduite n'a pas été jugée satisfaisante par le chef de l'établissement pénitentiaire”.
Le 07 novembre, il est déplacé à la maison d’arrêt de Toulouse puis, fin décembre, il est transféré vers le Groupe pénitentiaire de Maison-Carrée (El-Harrach) dont le directeur est sous l’autorité non pas du ministère de la justice mais du préfet d’Alger. Enfin, après trois semaines passées dans cet établissement, Abane rentre chez lui. Le préfet d’Alger (ou le directeur de la prison) avait estimé qu’il était dangereux de le garder en prison avec d’autres détenus.
Dévoiler ces détails n’est pas sans importance. Journalistes, écrivains, historiens et portraitistes laudateurs dont le fabricateur Khalfa Mameri, inventeur des biographies de pacotille, font condamner Abane Ramdane à 5 années de prison au lieu de 6 non pas par erreur mais intentionnellement. Tous, sans exception, avaient dissimulé les deux réductions de peine généreusement accordées au futur “architecte de la révolution” presque coup sur coup.
Dans « le FLN, mirage et réalité » Mohammed Harbi aurait dû profiter de la réédition parue en janvier 1985 et corriger cette inexactitude, parmi d’autres, sur la personne d’Abane Ramdane. Il ne l’a pas fait. Une réédition d’un livre sur l’histoire d’une guerre de libération qui n’a pas encore livré tous ses secrets sert généralement à réviser l’édition précédente en la complétant par des ajouts et en corrigeant les inexactitudes qu’elle contient. Les cinq années qui séparent les deux éditions (1980 - 1985) sont plus que suffisantes pour découvrir des faits nouveaux ꟷ donc une interprétation qui confirme ou infirme l’acception rabâchée jusque-là ꟷ, des faits en apparence anodins, négligés dans l’édition précédente et qui méritent plus d’attention de l’auteur dans l’édition augmentée. Parfois, l’historien découvre des diversions qui, à force d’être serinées dans des livres, journaux et conférences folkloriques, sont imposées comme voies obligatoires balisées par des interdits de penser. Sa vocation est de casser ces balises et de proposer une autre piste, celle où la vérité à plus de chance d’être connue.
Khalfa Mameri préfère « La Dépêche de Constantine et de l’Est algérien » du 17 février 1951 comme source d’information (1). Pourtant, l’ancien directeur général de la formation, de la coopération et de la réforme administrative au ministère de l'Intérieur au milieu des années 1970 pouvait facilement consulter le jugement émis par le tribunal de Bejaïa ou l’arrêt rendu par la cour d’appel (Alger) et s’assurer des libellés exacts de la condamnation. S’il avait estimé que la feuille de chou de Louis Morel passe mieux qu’une décision de justice c’est que l’ancien député du R.C.D. avait une idée derrière la tête : dissimuler une année de la peine de prison à laquelle Abane a été condamné et ainsi se dispenser d’expliquer sa libération 16 mois avant l’arrivée à terme de la durée de son emprisonnement. L’autre étrangeté est que maîtres Kiouane Abderrahmane et Bentoumi Amar, censés avoir été les amis et avocats d’Abane Ramdane lors des procès de l’O.S, se sont abstenus d’intervenir et de corriger cette erreur. Leur silence valait approbation.
Deux réductions de peine en l’espace de sept mois posent un gros problème au bon sens. Mameri et Harbi avaient construit à Abane le profil d’un dur à cuire, un factieux qui terrorisait les directeurs des établissements pénitentiaires où il avait séjourné et qui, de ce fait, avaient tous hâte de s’en débarrasser. Ces traits psychologiques d’un rebelle ne collent pas avec ces remises de peines accordées aux seuls détenus dont la conduite est jugée satisfaisante par les directeurs des établissements pénitentiaires. C’est l’usage dans les appareils répressifs partout dans le monde, à plus forte raison dans une situation coloniale. Abane a été condamné pour “participation à la formation et à l’activité d’un groupement paramilitaire à tendance séparatiste, entrepris de porter atteinte à l’intégrité du territoire français et de soustraire à l’autorité de la France une partie des territoires sur lesquels cette autorité s’exerce”(2).
En 1947, selon un rapport du S.L.N.A, De Vivie de Régie, l’administrateur de la commune mixte de Châteaudun-du-Rummel (Chelghoum Laïd), l’évalue en ces termes : “sérieux, méthodique, docile, remplit ses fonctions de manière satisfaisante.” Cette appréciation du fonctionnaire municipal correspond mieux à celle d’un détenu inculpé d’atteinte à la sûreté extérieure de l’état qui parvient à tirer parti d’une célébration d’une fête nationale ̶ le 14 juillet ꟷ et d’une investiture à la fonction de président ꟷ celle de René Coty ꟷ pour réduire sa peine de prison de près d’une année et demi sur les six qu’il devait purger. En Bonus, le veinard Abane Ramdane est assigné à résidence dans son village natal, au domicile de ses parents, dans les bras de Krim Belkacem et Amar Ouamrane (3) en quête d’une tête politique à légitimer par tout moyen pour être sélectionnée au rôle de délégué des interlocuteurs valables.
Dans le cas de Messali, c’est tout le contraire. Les autorités coloniales devaient lui refuser l’autorisation d’organiser un congrès tant en Algérie qu’en métropole le forçant à le tenir en Belgique, l’éloigner le plus loin possible des cadres de son nouveau parti créé en juillet 1954 et le bannir de la région parisienne, espace où vivait la moitié des algériens immigrés en France. Elles devaient lui faire porter une camisole de force et l’empêcher d’agir avant même ce congrès d’Hornu et l’alerte donnée par le colonel Paul Schœn, le chef du S.L.N.A. Ses adversaires, les centralistes qui vont bientôt être guidés par le commandant Vincent Monteil pour rejoindre le FLN, purent organiser sans difficulté leur congrès à Alger en août 1954.
Angle mort le 4 avril 2023
Prochain article : Rabah Bitat, le nigaud qu’il fallait à la place qu’il fallait.
Notes :
- Khalfa Mameri : Abane Ramdane, une vie pour l’Algérie, page 62, éditions Mameri
- Belaïd Abane : Nuages sur la révolution pages 65-66, éditions Koukou 2015
- Historia Magazine N° 198, janvier 1971, cité par Khalfa Mameri in op.cité, page 94
- Gilbert Meynier : Histoire intérieure du FLN, page 169, Casbah éditions 2003