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Le colonel et les enfants

Angle mort le 30-08-2023

De tous ses pairs, dans le discours officiel, le colonel Ait Hamouda Amirouche est le plus glorifié. Il l’est aussi dans celui des islamistes. Aux cinq coins du pays, il n’y a pas une agglomération où une rue ou un établissement scolaire qui ne soit baptisé à son nom. Pendant près de trois années, son nom était étrangement scandé à chacune des manifestations hebdomadaires des hirakiens. Il incarne à la fois le régime et l’opposition. Tout un mystère.

Dans leurs mémoires et témoignages, les militaires français, affectés en Kabylie entre 1955 et 1959, sont tous élogieux sur le loup de l’Akfadou. Les plus connus des écrivains et journalistes français qui ont couvert la guerre d’Algérie lui ont tous tressé des lauriers.

Saïd Sadi, auteur d’un livre paru en juin 2010 sur le « Guevara algérien » qui « amena le sénateur Kennedy à s’engager en faveur de la cause algérienne » écrivait :  

« En effet, pendant toute la guerre et jusqu’à la mort du colonel de la wilaya III, (…) n’ont eu de cesse de marteler que, le jour où elles neutraliseraient « le sanguinaire Amirouche », le conflit qui embrasait l’Algérie prendrait fin ou, du moins, verrait son dénouement se rapprocher considérablement »

En octobre 2011, dans un article panégyrique dédié au « Zapata national », Mohamed Maarfia récidivait : « Vaincre la révolte en Algérie passe nécessairement par la mise à genoux de la Wilaya III, et il est impossible d’atteindre ce résultat sans résoudre l’équation Amirouche ! ».

Dit en termes simples, Saïd Sadi et l’ancien secrétaire particulier de Tahar Zbiri pensent que si les français avaient éliminé le Loup de l’Akfadou assez tôt ils auraient rapidement soumis la wilaya III et, conséquemment, mis un terme à la révolte. L’Algérie serait restée française à ce jour.

Voici ce que rapporte Lakhdar Bentobbal dans ses mémoires sur le Loup de l’Akfadou et le Lion du djebel :

« Zighout et moi avions introduit par la suite la question de l’expédition punitive qu’Amirouche avait organisée contre les Oulad Ourabah de la vallée de la Soummam. Le résultat de cette opération avait été la levée de la première harka de grande importance et une manifestation qui avait réuni à Sétif, près de 1200 hommes armés. Ceux-ci avaient pris les armes contre nous et étaient restés hostiles à la révolution jusqu’à la fin de la guerre.

Nous craignons qu’une telle pratique ne produise des divisions au sein du peuple et que cela nous amène à la guerre civile. Nous ne voulions pas que les populations tournent leurs armes contre nous au lieu de combattre la France.

La version des faits présentée par Krim voulait qu’Amirouche ait décidé de lever des impôts au bénéfice de la révolution dans toute la vallée de la Soummam où l’on comptait beaucoup de riches propriétaires. Parmi ceux-ci se trouvait le sénateur Ourabah qui fut soumis à une contribution de 20 millions de francs. Ce dernier avait d’abord fait des difficultés prétextant qu’il ne disposait pas de cette somme, puis il demanda des facilités de paiement.

En ce temps-là, les djounoud de la III allaient chez l’un de ses frères, un caïd qui avait transformé sa ferme en refuge de l’ALN. Le sénateur, en désaccord avec la mesure qui avait été prise à son encontre, est allé à Alger trouver Abane. Il s’est plaint à lui de la situation qui lui avait été faite et du refus d’Amirouche d’accepter de recevoir la somme par traites. Quand il revint d’Alger il trouva son frère, le caïd, tué, la tête coupée et mise sur la route avec une lettre à son intention signée du FLN dans laquelle on lui demandait de prendre ses responsabilités.

Ourabah est allé rassembler ses gens ; il les a armés et il s’est rendu avec eux à Sétif pour manifester. Des groupes d’autodéfense furent mis sur pied autour des douars pour empêcher les djounoud de l’ALN de pénétrer dans la région d’Oued Amizour (rive droite de la Soummam).

Pour Amirouche, c’était une atteinte à la révolution, il ne pouvait accepter le fait que des gens se soient armés contre elle. Il a rassemblé ses forces et, la nuit venue, il a donné l’ordre de tuer tout le monde, hommes, femmes, enfants, armés ou non. C’était la liquidation totale. Mêmes les maisons furent incendiées. Les français informés de ce qui s’était passé avaient nommé cette opération « la nuit rouge » et donné le chiffre de 1 200 tués hommes, femmes et enfants.  Cela nous avait profondément choqués car la décision était en violation du règlement intérieur de l’ALN.

Quand nous condamnions à mort des traitres, des collaborateurs ou des bandes armées, la sentence visait des individus qui étaient seuls responsables de leurs actes. Nous n’avions jamais proné le principe de la responsabilité collective.  

La nuit rouge fut la première exécution collective de l’histoire de la révolution. Melouza dans le Sud algérois viendra plus tard.

Lors de la discussion du problème, Krim prit la défense d’Amirouche. Nous avions demandé qu’il soit sanctionné car il avait commis une faute politique grave. Nous étions même allés plus loin car nous voulions qu’il soit destitué de ses responsabilités.

Krim l’a défendu avec acharnement, déclarant qu’il prenait sur lui toute la responsabilité de l’affaire, qu’il avait lui-même donné l’ordre à Amirouche et que si quelqu’un devrait être sanctionné c’était lui-même et non Amirouche.

Nous étions très choqués de cette position. C’était peut-être méritoire pour un chef de défendre son subordonné mais pas à ce stade. Amirouche avait porté préjudice à la révolution nationale et cela nous ne l’admettions pas. Nous avions dit à Krim que même s’il en prenait la responsabilité, le point devait être inscrit à l’ordre du jour du congrès (1).

Il fut effectivement inscrit, mais malheureusement la discussion ne déboucha sur rien de positif. Nous étions arrivés aux mêmes positions qu’au départ. »

Daho Djerbal : Lakhdar Bentobbal. Mémoires de l’intérieur, pages 312-314. Editions Chihab 2012.

Note : La discussion sur la barbarie d’Aït Hamouda ne figure pas sur le procès-verbal du congrès publié dans les médias. Elle est cachée au public parce que le tueur de femmes et d’enfants doit avoir l’image du héros, un « Guevara algérien » comme se plait à le qualifier Saïd Sadi. Par contre, le mensonge qu’attribuent Colette et Francis Jeanson dans « l’Algérie hors la loi » à Louis Massignon qui lui font dire que Jacques Soustelle lui aurait confié « Messali est ma dernière carte » est reproduit dans les résolutions de la Soummam malgré le double démenti de Louis Massignon ! Abane Ramdane et Amar Ouzeggane, président du meeting organisé par Congrès musulman au stade municipal d’Alger le 02 août 1936 et qui avait hésité à accorder quelques minutes de parole à Messali hadj, tenaient à ce que la sauvagerie de l’un soit escamotée et la mystification sur l’autre exhibée et immortalisée.