Angle mort le 09/9/23
Remblais et murs de soutènement merveilleux.
Un haut fonctionnaire, passé maître dans la vocation de gonfleur du gratin kabyle, a fait écrire à Abane Ramdane une lettre destinée au dirigeant communiste Mao Zedong. Il n’a pas dit ce qu’elle contient et n’a pas dit non plus si le Timonier chinois a répondu ou pas à l’Architecte kabyle. Plus que ça, Abane est gavé de lecture. Il lui a fait lire 5 à 6 000 livres durant sa détention. A sa libération, ajoutait-il, « en fait de bagages, il avait uniquement des livres dans ses malles » mais que personne n’en a trouvé la moindre feuille, pas même la moitié d’une couverture abîmée. Le « père de l’indépendance » doit avoir beaucoup lu. C’est la première des conditions pour être hissé au rang de « Robespierre, le Jean Moulin algérien et même le Mao Zedong africain s’il avait survécu à la guerre ». On entre au panthéon uniquement par la tête et quand on l’a pas, on la fabrique avec les fables à portée de main. Pourquoi les français Robespierre et Jean Moulin ? Pourquoi le chinois Mao Zedong ? Pourquoi pas le Georges Washington maghrébin ou le Simon Bolivar africain ?
Dans la même veine, le combinard Saïd Sadi, un autre gonfleur de la crème kabyle, a soufflé jusqu’à n’en plus pouvoir sur Aït Hamouda Amirouche, le colonel borné. Contrairement à Khalfa Mameri, Saïd Sadi va puiser ses référents en Amérique du Sud. Pas content que le Loup de l’Akfadou soit assimilé au révolutionnaire mexicain Emiliano Zapata il lui préféra Che Guevara. Le médecin argentin avait, quant à lui, Mohamed Ben Abdelkrim al Khattabi pour modèle. Le vietnamien Ho Chi Minh et le chinois Mao Zedong avaient étudié l’expérience du légendaire chef rifain auquel Guevara rendit visite au Caire. El-Khattabi avait à son actif la cuisante raclée donnée aux espagnols en 1921, la fondation de la république au nord du Maroc et la mise à contribution de ses modestes moyens et sa notoriété pour organiser un mouvement de libération de l’ensemble maghrébin. Tout cela parait insignifiant aux yeux de Saïd Sadi, seuls les européens, les asiatiques et les sud-américains sont des étalons dignes d’intérêt, la norme unique.
Khalfa Mameri inventa pour Abane une relation avec Mao Zedong, Saïd Sadi devait faire autant sinon mieux et improviser à Aït Hamouda Amirouche une relation avec un personnage d’un standard identique à celui du dirigeant chinois. Il trouva John Fitzgerald Kennedy. Ce sera donc le Guevara kabyle qui enrôla le sénateur démocrate américain et en fit une figure majeure de l’indépendance algérienne.
La fable de Saïd Sadi :
« En ce jour du 17 août 1958, le groupe du sous-lieutenant Mohand Ouali ou Khaled tendant une embuscade sur la route menant d’El Kseur à Berbatache pour intercepter un convoi de ravitaillement doit se rendre a l’évidence : un informateur a du prévenir l’armée française que leur déplacement régulier était ciblé par l’ALN. Au moment de lever le dispositif, débouche du virage une petite voiture. C’est une quatre-chevaux Renault pilotée par un monsieur d’un certain âge. Arrêté, le chauffeur se présente : il s’appelle Griffith, est de nationalité américaine et officie comme pasteur à Ilmayene [El-Maïn]. Les maquisards brûlent son véhicule et conduisent le prisonnier au PC de wilaya. Les consignes d’Amirouche étaient claires. Tout prisonnier étranger devait y être acheminé sain et sauf.
C’est ainsi que Lester E. Griffith se retrouva dans l’Akfadou, où on lui demanda d’attendre l’arrivée d’Amirouche.
L’agent de liaison Mohand Sebkhi se trouvait au PC au moment des faits. Il raconte la réaction d’Amirouche a son arrivée, quand il trouva le pasteur enlevé par ses hommes.
Si Amirouche était mécontent. Il fit des remarques assez dures aux combattants qui avaient enlevé le pasteur américain. Ce dernier faisait les frais de la fuite probable qui avait fait avorter l’embuscade du commando de l’ALN.
J’ai encore dans les oreilles ses paroles : C’est un homme de religion. Il a sa foi, nous avons la nôtre. Pourquoi l’avez-vous arrêté ? Vous croyez que c’est avec ce genre de captures que vous allez gagner la guerre ? avait-il fulminé.
Il avait donné des instructions pour que le prisonnier soit bien traité.
Et, ajoute Mohand Sebkhi, jamais à cours d’éloge pour son chef, le colonel, qui réfléchissait vite, essaya de voir comment réparer l’erreur de son unité et, pourquoi pas, tirer avantage de la situation.
Le pasteur passa trois mois au maquis. Il put voir la discipline des combattants et le fonctionnement du PC. Pendant ce temps, la wilaya III essayait d’établir le contact avec la Croix-Rouge qui finit par alerter le Vatican et d’autres ONG. Les Français, qui refusaient souvent les contacts car ils continuaient à nier la réalité de l’ALN, prenant le risque de sacrifier leurs soldats, furent cette fois contraints de négocier pour recueillir publiquement le prisonnier américain et le laisser parler avant d’organiser précipitamment son départ vers Rome, puis Genève, d’où il rejoignit son pays.
Amirouche était souvent en déplacement. Quand il revenait au PC, il trouvait toujours le temps de discuter avec l’Américain. Leurs rapports étaient particulièrement cordiaux. Le jour de sa libération, le colonel chercha à savoir si son hôte n’avait manqué de rien. Ce dernier hésita un instant puis déclara que sa montre lui avait été retirée pendant son transfert afin de le priver de repères horaires. Amirouche retira le sienne et la remit au pasteur. Il exprima ses excuses pour l’incendie de sa voiture et lui remit une lettre destinée à la délégation du FLN à New York, dans laquelle le colonel demandait à la représentation algérienne de dédommager le pasteur.
Sitôt libéré, l’Américain se répandit en éloges devant les medias sur la discipline de l’ALN et développa son point de vue dans toutes les conférences de presse qu’il tint, mettant à mal la propagande des services français qui ne purent qu’écourter le séjour de l’encombrant prisonnier sur le territoire algérien.
Une fois arrive aux Etats-Unis, Griffith prit contact avec M’hamed Yazid, chargé de l’information du FLN, qui honora l’engagement du colonel de la wilaya III en remboursant le prix de la voiture incendiée.
Le retour sur investissement dépassa toutes les espérances. Au volant de son nouveau véhicule, l’homme de religion fit un périple estimé à plus de six mille kilomètres, portant de ville en ville la cause algérienne. C’est a l’occasion de l’une des ses conférences que Griffith demanda à rencontrer un jeune sénateur du nom de John Fitzgerald Kennedy. Ce dernier insista pour revoir l’ancien détenu afin de mieux s’informer sur la réalité des maquis, leur composition, leur organisation, etc. Le FLN ne pouvait pas trouver meilleur ambassadeur : Kennedy fut l’un des soutiens les plus fidèles et les plus crédibles du peuple algérien pendant la guerre. Il faudra la ruade de Ben Bella, en voyage officiel a New York en 1962, qui décida de rallier Cuba à partir des USA, pour refroidir la sympathie du sénateur américain, entre-temps devenu Président.
Malgré tout, la famille Kennedy avait gardé une réelle estime pour le peuple algérien. Quand je fus invité a Boston en 2004 pour assister a la convention du parti démocrate qui révéla au grand public le sénateur Obama, j’ai pu croiser le plus jeune des frères Kennedy, vieilli et déjà malade. A peine me fus-je présenté que la réponse fusa : “Here my brother John was one of the greatest friends of the Algerian people”. (Traduction : Ici, mon frère John était un des plus grands amis du peuple algérien.)
Le messager d’Amirouche avait choisi la bonne oreille pour répercuter l’espoir du peuple algérien en terre américaine. Je ne suis pas sûr que Ted Kennedy savait qui dirigeait l’Algérie en 2004. C’est dire si le viatique politique de l’Algérie combattante demeurait le principal capital de notre pays.
J’ai eu l’occasion de connaitre le pasteur Griffith, revenu en Kabylie après l’indépendance. Il était alors basé aux Ouadhias où il s’occupait d’organiser les jeunes pour des missions d’intérêt collectif. Il exhibait souvent la montre d’Amirouche, qu’il arborait avec fierté. C’était sa façon de trouver un bon prétexte pour relancer la discussion, qui se terminait invariablement par la même phrase : “Je n’oublierai jamais celui qui m’a honoré de son amitié et qui est a l’origine d’une des belles rencontres de ma vie”.
Depuis les années 70, on a démontré, en suivant des soldats américains détenus par le Viêt-Cong, que ce que l’on appelle le syndrome de Stockholm peut créer une relation d’attraction-soumission du captif envers son geôlier. Mais, l’estime reste rarement intacte des années après une captivité, si, par la suite, une conviction construite sur une vraie adhésion à la cause de l’adversaire n’enveloppe pas l’épreuve vécue par la victime.
Quelques années plus tard, Griffith fut expulsé d’Algérie par la Sécurité militaire pour ≪ espionnage ≫. Faut-il s’interdire de voir dans cette mesure le signe d’un agacement contre un pasteur s’occupant de la jeunesse et qui passait son temps à encenser un homme contre lequel Boumediene engageait ses limiers dans une entreprise d’occultation, ou en tout cas de diabolisation ? » Fin de citation. (1)
Réference : Saïd Sadi, Amirouche, une vie, deux morts, un testament L’Harmattan 2010
Juillet 1957, c’est avant ou après août 1958 ?
Kennedy prononça son fameux discours devant le Sénat le 02 juillet 1957, plus de treize mois avant la « capture » de l’évangéliste américain par les combattants du Guevara kabyle et environ 18 mois avant le retour du pasteur Lester E. Griffith aux Etats-Unis où il fera les 6000 kilomètres et les nombreuses conférences en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
J.F. Kennedy récidiva le 8 juillet devant le Sénat en ignorant totalement l’invitation de Robert Lacoste à se rendre en Algérie. Le sénateur du Massachusetts qui craignait « qu'abandonnés par l'Occident les Algériens ne se tournent vers " Moscou, Le Caire ou Pékin, ces prétendus champions du nationalisme et de l'indépendance ", n’était pas le seul homme politique étasunien à soutenir la cause algérienne. Mike Mansfield, sénateur démocrate du Montana et un des leaders de la Commission sénatoriale des affaires étrangères, abondait dans le même sens que J.F. Kennedy. Et deux mois plus tard, Hubert Humphrey, sénateur du Minnesota, emboîta le pas à ses collègues.
Tous ces hommes n’ont pas défendu la cause des algériens parce qu’ils avaient de la sympathie pour le FLN-ALN qui cherchait à s’émanciper de la puissance coloniale française mais simplement pour les empêcher de trouver aides et appuis auprès de l’Egypte de Nasser, la Chine de Mao Zedong et l’Urss de Nikita Khrouchtchev. Ils avaient tous en commun la haine des communistes et du chef de l’Etat égyptien.
Que pouvait bien faire à El Maïn, un village accroché au flan d’une montagne à près de 1000 mètres d’altitude situé entre Bordj Bou Arreridj au sud, Sétif à l’est et Bejaïa au nord et à l’ouest, un révérend de l’église évangéliste méthodiste de 36 ans qui, après son engagement dans Le corps des Marines pendant la deuxième guerre mondiale va servir pendant une dizaine d’années dans les gardes-côtes US sinon de « répandre la connaissance du Christ parmi les païens et les autres nations plongées dans les ténèbres". Cette église, présente à Fenaïa Ilmaten (El-Kseur) depuis 1886, a converti de nombreux kabyles au christianisme. Le succès de son prosélytisme fut tel que la Mission Méthodiste avait ouvert des annexes à Larbaâ Nath Irathen (Fort National) et une autre aux Ouadhias.
La question à laquelle personne n’a tenté de trouver une réponse, même boiteuse, est : Pourquoi les scribes kabyles comme Saïd Sadi mentent-il sans rougir en gonflant démesurément les qualités de leurs héros et courir le risque de les faire passer pour des hommes en baudruche ? Pourquoi se donner tant de mal, mentir si effrontément, et prêter le flanc aux quolibets du public connaisseur et se faire traiter d’imposteurs et de mystificateurs ? Un jour, il faudra qu’un travail académique soit réservé aux fables de ces employés aux écritures.