La ruse politique :
Le 24 février 1957, le New York Times publiait la première des trois parties de l’entretien réalisé par Herbert L. Matthews avec Fidel Castro dans la Sierra Maestra. Le choc sur les opinions américaines et surtout cubaines fut considérable. Fidel Castro, l’homme qu’on croyait mort et sa révolution éteinte, était non seulement en vie mais il était présenté comme chef d’une armée composée de plusieurs groupes formés de 10 à 40 guérilleros. Ces chiffres étaient de Castro lui-même. En fait, sur les 82 guérilleros partis de la ville mexicaine de Tuxpan à bord du Granma à destination de Cuba, les hommes qui avaient survécu à la débâcle de Las Coloradas le 02 décembre 1956 était seulement une vingtaine !
Sans tomber dans le ridicule, tout une comédie fut imaginée et intelligemment exécutée par Camilo Cienfuegos, Fidel et Raúl Castro, Luis Crespo et Juan A. Bosque, pour faire croire au célèbre chroniqueur américain que leurs forces étaient numériquement importantes. Plus tard, le Leader Maximo reconnut avoir trompé H. Matthews mais sans qu’il fût obligé de débiter « des trucs à dormir debout » et regretta d’avoir manipulé le journaliste américain. La ruse de Castro avait pour but de leurrer ses adversaires sur les forces de la révolution et de rétablir les liens de confiance avec la population hostile à Batista, les ouvriers en particulier. La ruse était si bien élaborée qu’elle berna même les officiels étatsuniens qui, de ce fait, n’ont jamais pardonné à Herbert Matthews de les avoir manœuvrés au profit des révolutionnaires cubains contre les intérêts des entreprises américaines.
Une histoire à dormir debout :
Dans El Watan du 06 novembre 2018, Ali Dehiles rapporte de son père, Slimane dit Sadek, ce qui suit : ‟En juin 1955, il (Sadek Dehiles) participa à la réunion d’Ath Dwala, ayant regroupé le colonel Amirouche Aït Hamouda, Krim Belkacem, Mohammedi Saïd, Yazourène (Vriruc), Abderrahmane Mira et le colonel Ouamrane. Laquelle réunion avait débouché sur une grande offensive contre l’armée française, au cours de laquelle ils avaient récupéré 1200 armes, 627 millions en argent liquide et des centaines de milliers de cartouches″.
Il faut être un simple d’esprit pour donner le moindre crédit à ces sornettes. On ne conçoit pas une offensive militaire avec quelques dizaines d’hommes armés de fusils de chasse rongés par la rouille contre une armée régulière qui cherchait à redorer son blason impérial après deux catastrophes majeures (juin 1940 et mai 1954). La règle première que nous apprenons en consultant les livres d’histoire militaire est qu’une offensive n’est envisageable que dans les guerres de position. Elle consiste à avancer contre les forces ennemies, les déloger dans le but d’occuper ses positions qu’il faudra ensuite défendre coûte que coûte. Et pour défendre cette portion de territoire conquise il faut des conditions que les gascons d’Ath Douala ne possédaient pas. Dans la guérilla, on pratique les guerres de mouvement. Elle consiste à frapper par surprise puis fuir pour préserver ses maigres forces et répéter l’opération en d’autres lieux où le succès est possible. La guérilla est le harcèlement continuel de l’ennemi jusqu’à le contraindre à ne plus accepter les coûts humains, financiers et politiques de la guerre.
Le ridicule dans cette chimère sortie d’un esprit malade est que le caporal-colonel Slimane Dehiles ne donna aucune indication sur le territoire exact où s’est produite ‟la grande offensive” de ses amis et ne donna rien sur la durée de cette bataille. Il ne donna aucune information sur les forces engagées dans cette opération, rien sur les hommes tués, blessés et faits prisonniers du côté kabyle et rien sur les pertes humaines et matérielles dans les rangs de l’armée française. Aucune précision non plus sur les cibles de cette étrange offensive. Le plus cocasse dans ce récit kabyle est que la bande d’Ath Douala ne donna aucun éclaircissement sur les conditions qui lui ont permis de délester les soldats français de 1200 armes, des centaines de milliers de cartouches et de 627 millions en argent liquide. Est-ce qu’en apprenant que les kabyles les attaquaient, les officiers, sous-officiers et soldats français avaient pris peur et s’étaient enfuis en abandonnant armes, munitions et argent ? Autre détail intrigant et auquel nos fanfarons ne donnèrent aucune explication : que comptaient faire ces troupes coloniales en campagne avec 627 millions en argent liquide passés inexplicablement de leurs poches à celles de Krim Belkacem ?
Il est clair que cette opération est une entourloupe maquillée en « grande offensive ». Elle était le prélude à ce qui allait être, dès juin 1955, l’opération dite « Force K » appelée « Oiseau bleu » à partir de septembre 1956. Dans cette manipulation qui dura plus d’une année, Jacques Soustelle, faisait livrer à Krim Belkacem armes neuves, munitions, argent et formateurs. La ruse des cubains leurra Batista et ses hommes, le bobard d’Ath Douala cherche à nous berner.
Angle-mort, le 16/1/ 2022