Krim Belkacem, l’homme qui agissait avant de réfléchir
Au mois d’octobre il faut aussi rappeler comment Krim Belkacem fut exécuté en 1970. C’était une liquidation à grande valeur pédagogique pour tout prétendant au rôle de mâle alpha. Les effaceurs auraient pu le balancer par la fenêtre de la chambre d’hôtel comme leurs prédécesseurs ont jeté en février 1959 Amira Allaoua du 5ème étage du siège du GPRA au Caire. Mais la ville de Francfort-sur-le-Main n’est pas le Caire et Willy Brandt, le chancelier allemand, n’était pas Djamel Abdennasser, le président égyptien. Il y a des lieux et des moments où il ne faut pas faire de bruit.
Dans un entretien accordé à la chaîne En-Nahar-tv il y a 4 ans, Kaouthar, la fille du Lion des djebels, a révélé que son père fut étranglé avec du fil de fer, un métal léger, souple, doux, solide et discret. Il suffit de l’enrouler en petite botte pour le transporter dans sa poche d’un continent à l’autre sans être soupçonné d’intention malveillante. Dans le pire des cas on vous prendra pour un maçon qui ne conçoit pas la vie sans ce fétiche à portée de main. Krim Belkacem connaissait toutes ces propriétés et savait parfaitement que le fil de fer est un matériau idéal pour la confection du nœud autour du cou. C’est à sa demande que les colonels Mohamed Lamouri, Mohamed Aouachria, Ahmed Nouaoura et le commandant Mostafa Lakhal, chef du légendaire commando Ali Khodja, furent supprimés en mars 1959 avec du fil de fer autour du cou. Aux côtés du couteau, du brasero et de la corde, le fil de fer occupait une place privilégiée dans l’arsenal de la justice révolutionnaire. En condamnant à la peine capitale Krim Belkacem le 7 avril 1969, la Cour révolutionnaire d’Oran, présidée par le colonel Mohamed Benahmed Abdelghani, a fidèlement prolongé la justice rendue par le Tribunal révolutionnaire de l’ALN en Tunisie, tribunal que présidait le colonel Boumediene qui, dix ans plus tard, avait pris la place du « Lion des djebels ».
Fatima, de l’infirmerie aux boites de nuits.
Sur berbère télévision, le 7 janvier 2021, Tahar Tinouiline, compagnon de Krim Belkacem, dévoilait l’identité d’une femme-clé qui, sans elle, il était impossible d’avoir accès au Lion des djebels. Fatima Abadou était une maquisarde repérée par Krim dans la Wilaya IV. En 1957, quand le CCE fut forcé de quitter Alger pour Tunis, Krim l’a récupéra près de lui puis l’envoya au Caire pour une formation d’infirmière. Cette formation était possible en Tunisie mais Krim jugea que l’Egypte offrait d’autres avantages bien plus divertissants que l’occupation épuisante d’une femme dans une kasma au milieu d’hommes souffrants de blessures graves. Elle ne reviendra jamais. En 1962, Fatima et son jules quittèrent l’Egypte pour le Liban où le couple possédait une boite de nuit. Krim était leur protecteur. Après l’opération Gift, une attaque d’un commando israélien qui a détruit 14 avions civils à l’aéroport de Beyrouth en décembre 1968 en représailles aux détournements d’avions par les palestiniens, Fatima plaqua le pays du cèdre pour celui du Chah où elle était propriétaire de deux ou trois boites de nuits. Après cette opération israélienne, les affrontements entre libanais et palestiniens ont rendu les affaires très difficiles à Beyrouth. Tahar Tinouiline affirme que Krim Belkacem et le Chah d’Iran entretenait de bons rapports. Contactée par le biais de son mari, Fatima accepta de joindre le Lion des djebels pour un rendez-vous avec des hommes qui projetaient de renverser le colonel Boumediene. Le commandant H’mida Aït Mesbah, Slimani, un neveu d’Abane Ramdane, Fatima Abadou et son mari ainsi que deux exécuteurs mandatés par la justice révolutionnaire n’avaient plus qu’à attendre dans une chambre d’hôtel l’arrivée du cou du mâle alpha déchu.
Le Stay-behind.
Tahar Tinouiline, qui rapporte ce qu’il avait appris de la bouche de Fatima, nous dit dans son témoignage que le commandant Slimane Hoffman était lui aussi présent. Il devait veiller à la bonne exécution de la mission révolutionnaire. Onze ans plus tôt, Hoffman était dans le lot d’un détachement d’une cinquantaine d’officiers algériens servants sous uniforme français et transférés en 1958 d’Allemagne vers les camps de l’ALN en Tunisie. Cette audacieuse entreprise, baptisée Opération Hirondelle (1), fut planifiée et exécutée par Richard Christmann au profit de Krim Belkacem dont il était le conseiller militaire. C’était une insolente réplique à une opération homonyme, une action aéroportée française où l’armée française avait dépouillé un important stock d’armes vietnamien en juillet 1953. R. Christmann, officier de l’Abwehr retourné par les américains à la fin de la deuxième guerre, était un agent influent du célèbre réseau Gehlen, une pièce maitresse du maillage Stay-Behind construit par les anglo-saxons dans la perspective d’une guerre contre l’Union Soviétique. Dans notre cas, les gladiateurs algériens, désignés sous les expressions génériques de Déserteurs de l’Armée Française, pour les militaires, et de franco-berbéristes, pour les civils, constituent également, dans l’esprit des architectes, un rempart protecteur contre les alliances avec l’Orient et les influences arabo-musulmanes. C’est cet ingénieux échafaudage patiemment construit mais encore vulnérable que l’emballement naturel de Krim menaçait de faire écrouler.
Notes
(1)- Erich Schmidt-Eenboom documentaire ARTE 22 janvier 2013.
Par Angle Mort, le 24 Octobre 2021