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Décérébrer les Aurès-N'memcha

 

Pourquoi Aït Hamouda Amirouche a-t-il menti ? 

On se souvient que Brahim Mezhoudi (1), nommé commandant par Abbane Ramdane, avait été chargé de régler un conflit dans une région qu’il ne connaissait pas. Certains disent qu’il est parti pour la Tunisie et qu’il n’en est plus revenu. Cela est vrai qu’il n’est pas revenu de Tunisie mais, ce qui est plus vrai encore, c’est qu’il n’est même pas allé aux N’memcha. Il avait fait sortir les responsables de la région en les convoquant à Tunis et, depuis ce jour, les N’memcha s’étaient vidés de leurs cadres. Eux aussi, une fois entrés en Tunisie n’étaient plus retournés dans leurs bases.

Entre-temps, la crise s’était aggravée dans les Aurès avec l’arrivée d’Aït Hamouda Amirouche (2) qui avait remplacé Zighout Youcef (3) dans la mission en wilaya Une.  Aux conflits déjà anciens qui opposaient les chefs de zones entre eux s’était greffés l’affaire Âdjel Âdjoul qui s’était rendu aux français après s’être disputé avec le nouveau chef de la Une.

Voilà les circonstances de cette crise telles qu’elles me furent rapportées par un djoundi parent par alliance de Mostefa Ben Boulaïd (4) et qui était à ses côtés dans le groupe qui avait entrepris les opérations armées du 1er novembre dans les Aurès.

Un ancien légionnaire d’origine allemande, spécialiste en explosifs, aurait été chargé par Âdjel Âdjoul de confectionner un poste piégé pour tuer Mostefa Ben Boulaïd. Une fois la chose faite, Âdjoul aurait envoyé l’émetteur piégé à son chef de wilaya en lui faisant croire qu’il s’agissait d’un cadeau. C’était là la thèse d’Aït Hamouda Amirouche qui a alors décidé d’emmener le légionnaire à la wilaya Trois pour interrogatoire. Chose bizarre cependant, en cours de route, le légionnaire avait disparu et la version retenue pour sa disparition fut qu’il avait été tué au cours d’un ratissage. Je ne sais pas si cela s’est vraiment passé ainsi, mais c’est la déclaration signée du légionnaire qui constituait le seul acte d’accusation de Âdjel Âdjoul et la seule pièce à charge contre lui. Cette accusation s’est révélée par la suite complétement fausse.

J’ai vécu 26 mois dans les Aurès et je connaissais ls gens un à un, beaucoup mieux qu’Amirouche. J’avais rencontré un de ceux qui avaient survécu à l’accident dans lequel avait péri Ben Boulaïd. Lors de l’explosion, il avait été touché au corps et au visage. Il avait perdu un œil et un bras. Après avoir subi les premiers soins il avait été envoyé en Tunisie se faire placer des prothèses. Il vit toujours et peut encore témoigner de ce qu’il m’avait rapporté alors (5).

C’était un militant des Aurès, un Touabi membre du groupe de Mostefa ben Boulaïd qui me connaissait du temps où nous avions trouvé refuge dans cette région. Je lui avais demandé de me raconter par le détail l’évènement.

  • Si Mahmoud (c’est ainsi qu’on m’appelait dans les Aurès) me dit-il, sois tranquille, je connais Ben Boulaïd, il est de ma tribu. Quand le poste a été parachuté avec le ravitaillement, c’est moi avec deux autres djounoud, qui avions été le cacher dans une grotte. Le jour où Ben Boulaïd est arrivé, nous sommes allés le chercher à nous trois et nous le lui avons remis. Nous étions en train de manger pendant que lui essayait de le faire marcher. Dès la déflagration, nous avions perdu connaissance. Depuis que nous avions caché ce poste-radio, personne, ni Âdjoul, ni légionnaire ni qui que ce soit d’autre n’y a touché. Tout ça est un complot d’Amirouche contre Âdjoul.

Quand il avait pris la direction de la wilaya Une, Amirouche avait réuni les responsables de toutes les zones et avait accusé la direction des assassinats qui s’y sont produits.

Âdjoul s’est vu alors en danger. Il ne dormait plus avec ses compagnons mais dans une chambre isolée, protégée par un garde et cela dans son propre douar, les Srahna. Une nuit, son garde est venu le réveiller, on venait pour le tuer. Il a pris son pistolet et a tiré, puis il a pris la fuite (6).

Daho Djerbal : Lakhdar Bentobbal, Mémoires de l’intérieur, pages 334335 Editions Chihab 2021

Précision : Le tire de l'article est les notes ci-dessous sont augmentées par le blog Angle mort

Notes :

  1. Brahim Mezhoudi fut élevé au grade de commandant de l’ALN et imposé à l'Etat-major de la wilaya II par Abbane Ramdane au Congrès de la Soummam. Proche de Larbi Ferhati dit Tebessi, Brahim Mezhoudi est celui que Abbane aurait contacté par le biais des Amara Rachid et Saliha Bouzekri alias Izza épouse Abbane vers septembre-octobre 1955 pour convaincre les Ouléma de rallier le FLN.  Pourquoi Abbane avait-il choisi de contacter Mezhoudi qui vivait à Constantine et pas directement Larbi Tebessi qui vivait, comme lui, à Alger ? Un autre mystère.
  2.  Elevé au grade de commandant de l’ALN au Congrès de la Soummam, Aït Hamouda Amirouche alias le Loup de l'Akfadou est sauvé par Krim Belkacem alias le Lion du Djebel d’une lourde sanction disciplinaire pour les crimes commis sur les civils, sanction réclamée par Zighout Youcef dit Sid-Ahmed, chef de la wilaya II, et Bentobbal Lakhdar dit Si Abdallah, son second.  
  3. Désigné au congrès de la Soummam pour mettre de l’ordre dans la Wilaya Une et stabiliser les Aurès-N ‘memcha, une région dont la population passait pour être déchirée entre tribus rivales, Zighout Youcef est tué le 25 septembre 1956 à Sidi Mezghiche, à une quarantaine de kilomètres au sud/ouest de Skikda, un mois à peine après la clôture du Congrès et avant même d’avoir entamé sa mission. Au lieu de confier cette charge à Bentobbal, un homme qui connaissait bien la population de cette région pendant 26 mois sans interruption, les chaouis lui avaient offert sécurité, gîte et couvert, après la découverte de l’O.S. — pour cet apostolat, Abbane préféra mandater Mezhoudi qui est allé se terrer en Tunisie et pomper les N’memcha hors de leur territoire. Au conclave d’Ouzellaguen, le CCE éleva Ali Mellah au grade de colonel et lui confia le commandement de la wilaya Six qu’il livra à 139 kabyles formés par les capitaines Benedetti, du Service de Renseignement Opérationnel (SRO), puis Hentic, un officier qui avait fait ses preuves dans le 1er bataillon de Choc avant d’être promu responsable du Groupement de commandos mixtes aéroportés (GCMA) en Indochine. Dans les hauts-plateaux algériens, ses élèves agissaient en conquérants et en violeurs (Cf. Abdelkader Hani « Cheikh Ziane Achour et les zianistes » éditions du Net 2017). L’architecture du CCE devient une œuvre de génie lorsque le commandement de la wilaya Une est confié au flingueur Aït Hamouda Amirouche et le charge de reprendre en main les maquis des Aurès. Profitant des rivalités entre prétendants à la chefferie, le Loup de l’Akfadou arrive à écarter Âdjel Âdjoul qui, pour sauver sa peau, ira chercher refuge dans les culottes de l’armée coloniale. La mission du Loup prit fin lorsqu’il apprendra que Ouamrane, en Tunisie, avait déniché l’oiseau rare, le chef idéal aux yeux des Soustelle et Chevallier, du C.C.E, des Bourguiba et Roger Seydoux, tous obsédés par le corridor Egypte-Libye-Tunisie-Algérie-Maroc. Aït Hamouda n’avait plus qu’à rejoindre Brahim Mezhoudi en Tunisie qui vidait les N’memcha de leurs hommes. Amar Ouamrane bombarde alors Cherif Mahmoud colonel de l’ALN en avril 1957 et l’impose patron de la wilaya Une. Qui était Mahmoud Cherif ? Sur ce personnage, dans ‟Vérités sans tabous, l’assassinat d’Abane RamdaneDar El-Othmania 2017, pages 53-54, Belaïd Abane écrit ceci :   

            Le nouveau chef des Aurès-N’memcha a en effet bien des choses à se faire pardonner et à      faire oublier. Ancien militant de l’UDMA, donc censé être encore plus modéré que les centralistes Ben Khedda et Dahlab que récusent « les radicaux », Mahmoud Cherif acquiert dès l’été 1957, une place de choix dans le premier cercle dirigeant de la révolution. Son parcours est très informatif de sa position fragile dans l’appareil militaire et surtout pourquoi il va « marcher » à fond dans la machination dirigée contre Abane. Responsable du « Dar al-Âskri », (Maison du combattant) un foyer du soldat, en réalité un centre de renseignements pour l’armée coloniale, il est enlevé au cours de l’année 1956 par Lazhar Cheriet qui le condamne à mort. C’est un officier des N’memcha, la capitaine Smaïli Salah Ben-Ali, qui lui sauve la vie en convaincant le vieux chef nemouchi de l’utiliser comme instructeur dans l’ALN. Seule réserve : il faut le mettre à l’épreuve. On lui confiera donc une opération militaire dont il sort indemne. Et, pour sa chance, une légère blessure lui vaut d’être évacué sur Tunis où le colonel Ouamrane le prend en charge avant de le nommer en avril 1957, sur instruction de Krim, colonel de la wilaya Une, contre l’avis de tous les Aurésiens qui lui reprochent de n’avoir rejoint l’ALN que sous la menace. Pis, il aurait participé à la tête d’un groupe de supplétifs au massacre du 8 mai 1945.

La question qui aurait dû exciter la curiosité de Belaïd Abane est : qui a bien pu souffler à l’oreille de Krim Belkacem le nom de Mahmoud Cherif pour faire de lui le colonel chef de la wilaya Une ? Fuyant le désastre de la bataille d’Alger, Krim est arrivé à Tunis en compagnie de Benkhedda en mai 1957 alors que dans cette même ville de Tunis, Mahmoud Cherif était passé de mouchard des français à colonel chef des Aurès-N’memcha un mois plus tôt, en avril comme il le précise lui-même.  Ni Krim ni Ouamrane n’avaient rencontré cet homme avant cette date, quelqu’un doit avoir aiguillonné le Lion du djebel à faire ce choix. Qui ?

  1. Ali Ben Boulaïd.
  2. Mostefa Boucetta dont le témoignage a été recueilli par Daho Djerbal en présence de Lakhdar Bentobbal et Mahfoud Bennoune.
  3. Avant de tirer sur ses assaillants, Âdjel Âdjoul a reçu deux balles, l’une à la main gauche et l’autre à la cuisse droite. Ses trois gardes du corps sont mortellement touchés.