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Ce que Hocine Malti n'a pas osé écrire I.

La vipère était dans les murs I

Au cours de ce même été 1963, Genoud monte la première grande opération économique de l’Algérie indépendante contre l’ancienne puissance coloniale. Au plus grand bénéfice de …Ben Bella ! Le réseau financier monté par Genoud avec l’aide déterminante de Khider fonctionne depuis quelques semaines quand un de ses amis, Mustapha Berri, qui s’est éloigné de la Révolution pour se lancer dans les affaires, lui rend visite à la banque. Genoud a connu Berri au Signal de Bougy, entre Genève et Lausanne, juste après la sortie de prison des « Cinq ». Il a fait partie pendant la guerre de l’équipe de Boussouf. Mustapha est maintenant le représentant pour l’Algérie d’une grosse firme industrielle allemande (DRIAM) qui produit des tubes en spirale directement sur les chantiers à partir de rouleaux de ruban d’acier. Il raconte au président de la Banque Populaire Arabe (B.P.A.) que les pétroliers, essentiellement français, dont la production augmente, ont besoin d’urgence d’un troisième oléoduc qui relierait Haoud El-Hamra à Arzew, soit 800 kilomètres à travers l’Algérie. Les pétroliers, regroupés en mai 1963 à Paris au sein de la « Trapal », pour construire cet oléoduc, ont déposé en juin une demande de permis de construire à la Direction de l’énergie et des carburants. Aussitôt, le gouvernement algérien a demandé à la Trapal une participation de 20% avec possibilité de la porter à 33%. 

L’Algérie admet donc d’emblée la suprématie des pétroliers et ne disposera même pas d’une minorité de blocage, mais la Trapal refuse néanmoins les exigences algériennes et ne veut pas entendre parler d’une participation algérienne supérieure à 13%. Mustapha Berri prétend qu’en dépit de cette faible participation, l’Algérie a son mot à dire dans le choix des fournisseurs.  

  • Vous qui êtes très ami avec le président Ben Bella, pourriez-vous lui parler du procédé de tuyaux en spirales, qui permet de grandes économies ? demande Berri à Genoud.

     Le même jour, Genoud reçoit Franz Kirchfeld, gros industriel de l’acier, ami de son ami Hans Rechenberg. Celui-ci lui raconte à peu près la même histoire les spirales mises à part. Si Kirchfeld s’adresse à Genoud, c’est parce qu’il sait par son ami Rechenberg que ce dernier a beaucoup d’entregent, qu’il est en excellents termes avec Ben Bella, qu’il peut donc l’aider à bénéficier de la commande de tuyaux en l’aidant à trouver le financement de la participation algérienne dans le capital de la Trapal.

Genoud se remémore alors les nombreuses discussions qu’il a eues avec Khider sur l’indépendance économique du pays. Grâce à l’outil de la Banque Populaire Arabe, il entrevoit qu’il peut aider l’Algérie dans le secteur vital du pétrole, convoité par les grandes compagnies pétrolières françaises. Il voit dans les deux visites qu’il a reçues au même sujet un signe du Destin, téléphone aussitôt à la Villa Joly et demande à parler au Président. Il obtient Ben Bella et lui demande s’il a quelques minutes à lui consacrer pour évoquer un problème aussi important qu’urgent. Ben Bella lui dit de venir. Genoud bondit dans sa voiture et se retrouve peu après dans le bureau du numéro un algérien.

     Il fait part au président du Conseil algérien de ce qu’il vient d’apprendre et demande à son interlocuteur si ses informations sont fondées. Un peu surpris, Ben Bella répond :

  • Vous êtes bien renseigné. Je suis en effet sur le point de donner mon accord à la Trapal.
  • Je vous demande, Monsieur le président, de revenir sur votre décision et de bien vouloir considérer le plan que notre groupe bancaire vous propose.   

Avec toute l’ardeur et la séduction qu’il est capable de déployer, Genoud se lance dans un vibrant exposé :

  • Ce troisième oléoduc doit être algérien à 100 % et le premier pipeline national du monde arabe. Pour la première fois, un Etat nouvellement indépendant pourra ainsi intervenir dans le domaine jalousement réservé du pétrole sans qu’il soit porté atteinte aux intérêts des sociétés exploitantes, garantis par les accords d’Evian de 1962. Par cette décision qui constituera une première, par cette initiative révolutionnaire, l’Algérie indépendante affirmera avec éclat sa volonté de jouer un rôle plus actif. Dernière venue parmi les pays producteurs de pétrole, l’Algérie va en prendre la tête dans l’affirmation des droits de ces pays à l’exploitation de leurs propres ressources. Le chantage auquel vous soumettent les pétroliers en vous refusant une participation supérieure à 13 % est scandaleux. C’est non seulement stupide, mais d’une rare insolence !

Ben Bella n’est pas insensible à ce discours qui pourrait être le sien.

  • Vous avez raison, ce serait la plus grande victoire depuis l’indépendance, mais sommes-nous capables de réaliser un tel projet ? Je crains que nous ne soyons obligés d’accepter celui de la Trapal, car nous avons déjà les plus grandes difficultés à réunir l’argent pour prendre une participation de 13 %, objecte Ben Bella.
  • Mais il n’est pas de jour que je ne lis dans le journal que tel ou tel pays vous propose des crédits !
  • Oui, mais il s’agit de crédits liés à des projets précis. Ce qu’il nous faudrait, c’est de l’argent dont nous puissions disposer librement…
  • Mais si preniez la décision de construire vous-mêmes un oléoduc algérien à 100 % et de le mettre à la disposition de Messieurs les Pétroliers pour acheminer leur pétrole ? Vous ne léseriez en rien leurs intérêts, au contraire, vous leur rendriez service tout en ouvrant une première brèche dans leur citadelle.
  •  Ce serait en effet un immense succès, mais, comme je vous l’ai dit, c’est déjà pour nous un problème que d’intervenir dans le projet Trapal…
  • Je me fais fort d’obtenir la collaboration d’un groupe puissant, capable de réaliser tous les éléments de l’ouvrage en dépit de l’hostilité qu’une telle entreprise provoquera chez les grands du pétrole, et de trouver de l’argent dans les poches de vos frères arabes qui en ont, à condition que vous me donniez un minimum d’autorité : une lettre signée de vous me chargeant d’une mission d’études relative à ce projet, propose Genoud.

Au cours de la discussion qui suit, Ben Bella insiste bien sur le fait que la constitution de fonds propres devra se faire avec des capitaux nouveaux trouvés en dehors de tous ceux qui ont déjà accordés à l’Algérie. Il estime d’autre part qu’il serait imprudent de se lancer dans pareille aventure avec un fabricant de tubes développant un procédé insuffisamment testé. Exit donc Mustapha Berri et ses spirales. De son côté, Genoud propose d’ores et déjà que la Banque Commerciale Arabe (BCA) finance 5 % du capital…  

  • Il me faut quarante-huit heures pour consulter mes camarades du Bureau politique élargi, conclu Ben Bella.

Quarante-huit heures plus tard, le 20 août, Smaïl Mahroug, conseiller économique du Président algérien, convoque Genoud à la Villa Joly. Manifestement, il le reçoit à contrecœur. Il lui dit avoir été informé de son projet par le président, qui accepte sa proposition.

  • Personnellement, je n’y crois pas, mais vos démarches peuvent améliorer la position de l’Algérie. L’oléoduc algérien à 100 % est une utopie ; l’idéal serait de parvenir à 50 %.
  • Ce qui m’intéresse, moi, c’est le projet à 100 %, riposte Genoud.
  • Vous avez votre point de vue, j’ai le mien.
  • Il me faut une lettre de Ben Bella.
  • C’est on ne peut plus dangereux, il faudrait ne la montrer à personne…En l'état actuel de nos relations avec la France, toute indiscrétion pourrait être très préjudiciable à l’Algérie.
  • Je prends l’engagement de ne la remettre à personne et de ne la montrer qu’à deux ou trois personnes de confiance.  

Les deux hommes élaborent un projet de texte qui n’implique pas trop Ahmed Ben Bella :

                                       Cher Monsieur,

Comme suite à nos récents entretiens, j’ai l’honneur de vous charger d’une mission relative

au projet de construction d’un troisième pipe-line.

Vous voudrez bien me faire part des résultats de cette étude dans les plus brefs délais.

Veuillez agréer, cher monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

A suivre

Pierre Péan L’Extrémiste, fayard 1996

Angle mort le 04 juillet 2022