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Bandes de quartiers

Je veux être président

De tous les ministres du GPRA, Krim était le plus vulnérable. Son travail consistait à ravitailler l’intérieur en armes et munitions. Mais les barrages électrifiés interdisaient l’accès de l’Algérie. Les maquis ne cachaient plus leur mécontentement et leur colère.  De cet échec était née chez le ministre une sorte de fuite en avant. Krim pensait qu’en modifiant la composition du GPRA il pourrait mieux résister à la « révolte » des maquis. Et comme il avait toujours caressé le rêve de présider le gouvernement, il crut habile de passer par une formule transitoire, remplacer le GPRA par un triumvirat : Krim, Boussouf et Bentobbal, capable, selon lui, de tenir tête à la menace de l’intérieur.  Un détail capital échappait à Krim : l’opposition irréductible des deux autres colonels à sa désignation comme colonel. Et cela Krim l’ignorait parce que je m’étais bien gardé de l’en informer.  

Le GPRA se réunit au Caire le 29 juin 1959. Je présidai. Krim prit la parole et proposa la nouvelle formule de l’exécutif. Cette proposition aussi saugrenue qu’inacceptable souleva l’indignation de Benkhedda, de Mehri, du Dr Lamine Debaghine, du colonel Cherif Mahmoud et du Dr Francis. Tewfik El-Madani et Yazid observèrent un silence prudent.

Je te briserai... je te supprimerai !

En fait, le seul intéressé par la formation d’un nouveau gouvernement était Krim. Bentobbal et Boussouf n’acceptèrent, me semble-t-il, qu’à contrecœur. Krim, qui avait été un grand baroudeur, était très sensible aux honneurs.  Il a toujours convoité la présidence. A l’occasion de nos missions en Libye et en Arabie saoudite, en Irak et au Koweït, je l’ai senti malheureux de ne pas être le chef de la délégation. J’ai essayé d’atténuer son amertume en le mettant en avant et en le présentant comme un des « historiques » encore en vie et en liberté. La nature humaine est ainsi faite. De grands sentiments coexistent souvent avec des mesquineries. L’amour-propre de Krim était chatouilleux. Il ternissait quelquefois sa belle action.   

Il s’aperçut bien vite que sa proposition serait rejetée. Benkhedda et Mehri, indignés, démolirent son argumentation. Le Dr Lamine et le Dr Francis se contentèrent de dire que la proposition était inacceptable du fait que la responsabilité des ministres était collective. Mis en cause par Krim, Mahmoud Cherif se fâcha. Il s’en prit à « l’incapacité » du ministre de la défense, à sa médiocrité, à ses calculs. Il fut virulent. Nous assistâmes à un règlement de comptes avec menaces de mort.

  • Le désordre aux frontières, c’est toi. La mise en résidence des trois colonels, c’est toi. Le complot de Lamouri, son exécution, c’est toi. La désertion de Hambli et des 130 djoundis ralliés à la France, c’est toi. Le stockage des armes aux frontières, c’est toi. L’argent qui ne rentre pas en Algérie, c’est toi, etc, etc.., dénonça Mahmoud Cherif. 
  • Je te briserai, s’écria Krim
  • Je te supprimerai, répliqua Mahmoud Cherif.

 


Ferhat Abbas : Autopsie d’une guerre pages 268-269 Editions, Garnier 1980

Le titre et les sous-titres sont d'Angle-Mort

 

Angle-Mort, Le 30 octobre 2021

 

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