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Abane, un marabout.

 

                           ‟Soucieuse de ne pas laisser trace d’une sépulture qui ne manquerait pas de devenir un lieu de pèlerinage, les troupes françaises enterrèrent secrètement les deux colonels. Boumediene fit déterrer clandestinement leurs ossements deux ans après l’indépendance pour les faire disparaître. ″ Saïd Sadi : ‟Amirouche, une vie, deux morts, un testament″, L’Harmattan, 2010

En écrivant cela, Saïd Sadi n’exagère en rien, il n’est pas le seul kabyle qui croit sérieusement que la sépulture d’Aït Hamouda Amirouche pouvait devenir un lieu saint, peut-être même une Karbala.  Dans le culte des saints pratiqué aujourd’hui par les kabyles, Abane Ramdane occupe la place de l’imam Al-Hussein, le personnage auquel les chiites vouent une vénération quasi divine. Ben Bella et Boussouf sont assignés aux rôles des Yazid Ibn Mouâouiya et Ôubayd-Allah Ibn-Ziyad, le premier pour ‟avoir usurpé le pouvoir légitime″ des Ahl Al-Beyt et le second pour avoir traitreusement tué Al-Hussein Ibn Âli. Dans le cycle annuel des mémoires des martyrs qu’entretiennent journaux et réseaux sociaux, les abanôlatres invoquent la mémoire de l’Imam de la Révolution, pleurent symboliquement sa tragique disparition et s’en prennent —tout aussi symboliquement— aux effaceurs d’Abane. Pourquoi c’est un culte rendu à un mort et pas la simple histoire d’un acteur qui, comme beaucoup d’autres, a joué et perdu une compétition face à des rivaux tout aussi ambitieux que lui ? Dans toutes les resucées construites sur Abane, les auteurs gonflent le personnage, lui attribuent des faits hors de mesure et se fichent de la chronologie de son parcours. On magnifie sans se soucier du bon sens. Qui ne connait pas Azouza, le hameau élevé au rang de terre sacrée ? Qui ne sait pas que la maison de Maâtoub Lounes est un lieu de recueillement tout autant que le mausolée de n’importe quel marabout ? Qui n’a pas été choqué par le culte rendu à Anzar, un dieu censé habiter une montagne au sud-est de Tizi-Ouzou ? Grattez la mince pellicule de vernis moderniste des mots criés à tout-va et vous découvrirez une épaisse couche de croyances et de pratiques archaïques.     

Exemple :         

‟Il (Abane Ramdane) est mobilisé et affecté pendant la Seconde Guerre mondiale, avec le grade de sous-officier, dans un régiment de tirailleurs algériens stationné à Blida en attendant le départ pour l’Italie. Démobilisé, il entre au Parti du Peuple Algérien (PPA) et milite tout en travaillant comme secrétaire de la commune mixte de Châteaudun du Rhumel (Chelghoum Laïd) ″. Extrait tiré de la page Wikipédia sur Abane Ramdane.

Notez que l’auteur ne donne aucune indication sur ce ‟Régiment de tirailleurs Algériens stationné à Blida en attendant le départ pour l’Italie″. Les régiments des tirailleurs algériens étaient si nombreux que pour les distinguer, chacun d’eux portait un numéro. Qu’est-ce qui a empêché l’auteur de ce texte à donner le numéro de cette unité de combat visiblement hors de combat ? On ne reste pas stationné à Blida pendant deux années à attendre le départ pour l’Italie et participer à la campagne d’Italie commencée en juin 1943. En fait, le sergent Abane Ramdane n’a pas bougé de Blida de 1943 à 1945 parce qu’il était handicapé par un problème de santé. Il n’a pas été démobilisé comme c’est écrit sur Wikipédia mais réformé en mai 1945 pour goitre comme c’est indiqué en mai 1953 dans ce rapport du Service des Liaisons Nord-Africaines, le service de renseignement du fameux colonel Paul Schœn. Ce dernier, un officier que tous les flics lui reconnaissent une grand intelligence, pouvait légitimement se réclamer de l'école de Louis Andrieux, le machiavélique préfet de police de Paris qui finança secrètement la création en septembre 1880 de "La Révolution sociale", un hébdomadaire anarchiste ! 

La règle de conduite laissée à la postérité par l’auteur de ‟Souvenirs d’un préfet de police″, livre édité en 1885, est que :

                  On ne supprime pas les doctrines en les empêchant de se produire... Donner un journal aux anarchistes, c'était d'ailleurs placer un téléphone entre la salle de conspirations et le cabinet du préfet de police″.   

L’adulateur d’Abane ajoute : ‟ Marqué par les massacres du 8 mai 1945, il abandonne ses fonctions, rompt définitivement avec l'administration coloniale et entre en clandestinité pour se consacrer à « la cause nationale » au sein du PPA-MTLD″.

Pour écrire de telles contrevérités, il faut être un possédé. Pendant les massacres de mai 1945, Abane était encore stationné à Blida à attendre le départ pour l’Italie. Dans le meilleur des cas, il venait tout juste d’obtenir son avis de radiation des cadres ou des contrôles, selon le cas, avant de rejoindre son village natal. Bien après ces massacres, le 18 septembre 1946, Abane Ramdane, sur recommandation d’un certain M. Achour, s’était fait embaucher comme secrétaire-adjoint stagiaire des services civils comme c’est précisé dans le document 1-2 puis installé dans ses fonctions le 25 octobre 1946 comme précisé dans le document 3. On est bien loin de la « rupture définitive d’Abane avec l’administration coloniale causée par les massacres de mai 1945 ».

Dans le rapport bimensuel d’octobre 1947, Abbane est signalé se « livrant à une activité politique en faveur du PPA ». Deux semaines plus tard, au lieu d’être congédié et surveillé de près par les polices de France et de Navarre, il est proposé à la titularisation ! L’administrateur Vivie de Régie, son chef, le jugeait « sérieux, méthodique, docile ». Le 13 décembre 1947, Abane Ramdane est titularisé dans ses fonctions à la 3ème classe et trois mois plus tard, le 12 mars 1948, il est promu à la 2è classe. Moins d’une semaine après cet heureux événement, il est muté « pour raisons politiques » de la commune mixte de Châteaudun-du-Rhumel (Chelghoum Laïd = 80 kilomètres à l’est de Sétif) à la commune mixte de Guergour. C’était pas une blague ! Et deux jours plus tard, le 19 mars, Abbane démissionne. Dans sa lettre adressée au préfet de Constantine, il estime qu’il est l’objet d’une mesure arbitraire puisque sa mutation à Guergour est sans motif. Le 18 mai, sa démission est acceptée. Guergour n’est pas un lieudit perdu entre Reggane et Aoulef. Cette commune mixte est à 38 petits kilomètres à l’ouest de Sétif et donc plus proche de Bejaïa et d’Alger que ne l’est Chelghoum Laïd. En quoi le travail à Guergour était un déclassement qui pouvait justifier la démission ?      

Plus loin, l’auteur ajoute : « Il est désigné, en 1948, comme chef de wilaya, d'abord dans la région de Sétif, puis dans l'Oranie. Durant cette période, il est également membre de l'Organisation spéciale (OS), bras armé du Parti, chargé de préparer la Révolution ».  

Si Abane était chef de l’Oranie, Ahmed Ben Bella et Hamou Boutlilis, son successeur à la tête de l’Oranie en 1949, étaient quoi ?  

 

Abane 1
Abane 2
Abane promu arrestation