Un oscar pour Amar Ouzegane

  1. Hamas
  1. Benyamin Netanyahou à Joseph R. Biden : « On n'a jamais vu une telle sauvagerie dans l'histoire de notre État. Pas depuis l'Holocauste. Monsieur le président, Joe, ils ont pris des dizaines de bébés, ils les ont attachés, ils les ont brûlés, ils les ont exécutés. Ils ont décapité des soldats, ils ont massacré ces jeunes qui étaient venus à un festival dans la nature.» Sur LCI, David Pujadas anime une émission sur les “40 bébés israéliens décapités par Hamas.”
  1. Mouâmmar Qadhafi  
  1. Susan Rice, représentante américaine aux Nations Unies, déclarait devant le Conseil de sécurité en avril 2011 que Mouâmmar Qadhafi encourageait les viols de femmes et d’enfants en distribuant des pilules de viagra à ses soldats. Naturellement, “l’information” fut reprise en chœur à l’unisson par tous les médias du “Monde libre”. La libyenne Siham Serigwa est la source principale ; psychologue clinicienne formée au King’s College London, l’une des six universités les plus élitistes de Grande-Bretagne, elle était employée au célèbre Guy's Hospital avant de rentrer en Libye pour être parmi les premiers manifestants contre le régime.  

  1. La “découverte” faite par Siham Serigwa est donc estampillée scientifique. Révélée par une diplomate étasunienne devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, la bombe avait tout l’air d’être une information valide. Dans de pareilles conditions, la couleuvre avait toutes les chances d’être avalée sans que le public eût fait le difficile.

  1. Pour donner à sa trouvaille un habillage académique, la clinicienne envoya des milliers de questionnaires dans les régions contrôlées par les rebelles. Elle reçut 60 000 réponses de femmes qui témoignaient de violences sexuelles et affirma qu’elle avait rencontré 140 d’entre elles. L’ONU et Amnesty International décidèrent alors de vérifier tout cela par des enquêtes sur place. Diana Eltahawy, experte d'Amnesty International sur la Libye, demanda à Siham Serigwa à rencontrer ces 140 femmes victimes de viol. Toutes évaporées. La psychologue prétexta l’impossibilité de les contacter parce qu’elle n’était pas en possession des coordonnées d’aucune de ces femmes ! Une réponse facétieuse pour un travail académique.

  1. Quelques semaines après la déclaration de Susan Rice, Luis Moreno-Ocampo, premier procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), arrivait en renfort. Il accusa Mouâmmar Qadhafi d'utiliser le viol comme arme de guerre et  demanda aux juges de la CPI un mandat d’arrêt contre le dirigeant libyen. Luis Moreno-Ocampo était lui-même accusé de harcèlement sexuel et de corruption en 2006 et peut-être même de viol d’une journaliste sud-africaine. Mais les services qu’il était appelé à rendre au “Monde libre” avaient vite fait d’étouffer l’affaire. Ce n’était pas le bon moment pour dévoiler ce scandale et prendre le risque d’éclabousser les juges supplétifs de l’OTAN. C’est bien après la fin de son mandat de procureur à la  CPI en 2012 que les médias occidentaux “découvrirent” que “le militant anticorruption” détenait plusieurs sociétés offshore dans des paradis fiscaux et qu’il était employé comme conseiller juridique du milliardaire libyen Hassan Tatanaki, le président de la société de forage et de services pétroliers Challenger Ltd. C’était donc un kiosque où une scientifique, une diplomate et un procureur vendaient du baratin sur des comprimés de viagra comme arme de guerre contre la Libye.
  1. Vladimir Poutine
  1. « La Russie offre secrètement des primes aux talibans pour chaque soldat américain tué en Afghanistan », titre le 26 juin 2020 The New York Times. Les sources étaient des agents du renseignement anonymes. Est-ce que les talibans avaient besoin d’être payés pour tuer des soldats américains qui occupaient leur pays ? Le bon sens commande de dire non mais le sens commun a peu à voir lorsqu’il s’agit de diaboliser “l’Empire du mal”. L’important est que la matière est là, elle avait juste besoin d’être feuilletonnée et livrée quotidiennement au public pendant plus d’un mois par des médias hostiles à tout rapprochement entre Trump et Poutine. 

  1. Après trois mois de bavardages, le général Frank McKenzie, commandant du CENTCOM, trouvait que les renseignements sur un programme de primes russe destinées aux talibans ne reposent sur aucune preuve vraisemblable. Cette réaction du Haut commandement militaire étasunien mit un bémol dans les palabres des milieux politiques et médiatiques, sauf pour les Démocrates dont Joe Biden, candidat aux présidentielles de novembre, continuait de rabâcher ce tuyau crevé. Dès son intronisation en janvier 2021, Joe Biden a eu le mérite d’abandonner cette histoire à tous points de vue une manipulation. Et la controverse sur ces primes cessa.
  1. Messali Hadj
  1. « Etant donné le rapport de force initial, on peut bien dire que le messalisme est en voie de liquidation. Considéré dans le moment même, et de façon arbitrairement statique que cette quasi-égalité fournit une apparente caution à ceux qui s’efforcent de redorer le blason d’un chef national aujourd’hui dépassé. Signalons ici, sans plus nous attarder, que ses vaillants supporters se  recrutent essentiellement dans les milieux trotskystes et qu’ils ont un allié – qu’on n’est pas forcé de tenir pour négligeable – en la personne de M. Jacques Soustelle, Gouverneur de l’Algérie, qui déclarait en fin Novembre à M. le Professeur Massignon : « Messali est ma dernière carte ». 

  1. « Messali est ma dernière carte ». Telle est la confidence qu’attribuaient dans “L’Algérie hors la loi” Colette et Francis Jeanson à Jacques Soustelle et que ce dernier aurait faite à Louis Massignon, un orientaliste voué à Dieu et à la France. A la parution en décembre 1955 du « livre dans lequel le couple Jeanson prend explicitement position en faveur du FLN et contre Messali Hadj », l’officier de renseignement - continuateur de Charles de Foucauld - se trouvait au Caire. Contacté par Daniel Guérin pour s’assurer de l’authenticité de la citation, Massignon joignit le journal, s’éleva contre « la citation incorrecte de Jeanson » et jugea  « infâme de traiter ainsi un patriote et un croyant convaincu. » 

  1.  Daniel Guérin pense que Louis Massignon savait que la citation diffamatoire « était plus l’œuvre de Colette que de Francis, alors soigné dans une clinique, et Colette tenait ses sources de militants du F.L.N particulièrement haineux, les mêmes qui, toujours en novembre 1955, avaient traité Messali, séquestré en Charente par la police française, de « vieillard honteux qui tient le front d’Angoulême à la tête d’une armée de policiers qui assure sa protection contre la colère du peuple » !

  1. Par “militants du FLN”, il faut comprendre le tandem Abane Ramdane ꟷAmar Ouzegane. Le premier était le protégé de Jacques Soustelle (1) et du juge Jacques Bérard (2) alors que le second avait un compte à régler avec Messali Hadj qui datait du meeting organisé par le Congrès Musulman le 02 août 1936 au stade municipal d’Alger. Ce jour-là, Amar Ouzegane présidait le meeting. Il avait fallu de « rudes pourparlers »(3) et l’intervention du cheikh Abdelhamid Ben Badis pour qu’Ouzegane consentît à donner la parole à Messali qui, au prétexte de saluer le nombreux public présent dans les tribunes du stade, improvisa une allocution d’une vingtaine de minutes. C’était suffisant pour mettre le public en feu et, conséquemment, contraindre les congressistes à remiser au placard leur projet. Ils prendront leur revanche après vingt années de patience presque jour pour jour.

  1.  Tout le long de ses activités au Parti Communiste, Ouzegane manifestait sans cesse son hostilité aux indépendantistes du PPA-MTLD ; il redoublait ses efforts lors des campagnes électorales. Cette aversion, jamais démentie, était telle que même André Marti, désigné par l’Internationale Communiste pour suivre les partis communistes nord-africains et de conseiller sur les choix des dirigeants, craignait l’isolement du parti tant il redoutait les débordements haineux d’Ouzegane envers le nationalisme algérien !

  1. En septembre 1948, au moment où Messali exposait la question algérienne dans un mémoire qu’il avait remis à l’ONU, Amar Ouzegane est exclu du PCA pour ses positions outrancièrement antinationalistes et remplacé par Larbi Bouhali. Pierre Durand, communiste, historien et résistant français, disait d’Ouzegane le « secrétaire du PCA, (…) se montrait très hostile aux nationalistes algériens » et ajouta « qu’il a été, de 1943 à juillet 1946, le principal responsable d’une politique qui a gêné considérablement le rassemblement de tous les mouvements nationaux progressistes d’Algérie contre le colonialisme ». 

  1. Dans son livre, il n’a pas honte d’écrire : «  Il (Abdelhamid Ben Badis) était le père du Congrès musulman algérien où s’est réalisé l’union de toutes les tendances anti-colonialistes C’était une mobilisation générale du peuple algérien pour l’union et l’action, sans exclusive, sans sectarisme. Ce moment marquait l’entrée du peuple dans l’arène politique réservée jusque-là à une certaine élite ». Le Congrès musulman revendiquait le rattachement de l’Algérie à la France. 

  1. Sur sa page Wikipédia, les chirurgiens plasticiens de l’histoire de la guerre d’Algérie disent l’exact contraire. C’est au burin et au marteau qu’ils tentent maladroitement de réparer le passé honteux de l’auteur de la plateforme de la Soummam. Le démenti de Massignon n’avait pas suffit puisque Abane et Ouzegane avaient immortalisé leur ignoble invention dans la plateforme de leur “congrès” en août 1956. Deux mois plus tard, Louis Massignon protesta de nouveau contre « le texte odieux publié (…) par Colette et Francis Jeanson ».

  1. L’indignation de Louis Massignon ne servit à rien. Dans une brochure intitulée « De la contre-révolution à la collaboration ou la trahison des messalistes » datée d’août 1959, la Fédération de France du F.L.N. répétera la même calomnie. Cette organisation était dirigée par Omar Boudaoud depuis juin 1957. Il revenait du Maroc où il décrocha le grade de commandant de l’A.L.N. En compagnie de son frère, Mansour, il passa deux années à apprendre de Boussouf que toute objection à une instruction donnée par le Chef est un acte de trahison. Depuis, la Révolution, l’Etat et le Chef ne font qu’un. Désigné par le C.C.E chef de la Fédération de France, Omar Boudaoud avait pour conseiller officieux Francis Jeanson et pour bras armé Rabah Bouaziz alias Saïd. En tête des buts assignés par le C.C.E. à Boudaoud et à Bouaziz : « soustraire la communauté algérienne à l’influence du MNA » (4). C’était la priorité des priorités.
  1. Conclusion

Dans « Le Meilleur Combat », livre paru en 1962, Ouzegane écrivait : « Notre appréciation sur le messalisme « dernière carte » du gouvernement français, selon la confidence de Soustelle, gouverneur général, au professeur Massignon s'est trouvée confirmée. » Nous sommes bel et bien dans un cas où cet acharnement rabique relève de la psychopathologie. La victoire du FLN n’a pas suffit à soigner le maladif ressentiment d’Ouzegane. Malgré une rude concurrence imposée par une nombreuse foule de prétendants au trophée, Ouzegane mérite l’oscar du plus mauvais menteur du mouvement national. 

Références :

  1. Henri Jacquin : La Guerre secrète d’Algérie, pages 116-117, Editions Orban 1977
  2. Daho Djerbal : Lakhdar Bentobbal : Mémoires de l’Intérieur, page 288, Editions Chihab 2021.
  3. Christian Phéline, La Terre, l’Etoile et le Couteau, le 2 août 1936 à Alger, Editions du Croquant, 2021.
  4. Mohammed Harbi Une vie debout. Mémoires politiques page 203-204, Tome I. 1945-1962, Editions Casbah 2001.

Angle mort, 11 décembre 2023.