Tebboune et le Grand Jeu
Comme « preuves » de l’existence de l’Algérie comme nation avant 1830, A. Tebboune trouva au musée de l’armée les deux colts d‘Abraham Lincoln offerts à l’Emir Abdelkader. Ce geste du président des Etats-Unis d’Amérique était une reconnaissance envers l’Emir pour les quelques milliers de chrétiens, dont des diplomates et ressortissants européens, sauvés d’un carnage commencé par les druzes au Liban et que des sunnites poursuivaient à Damas où l’Emir vivait en exil depuis 1855. Sans cynisme aucun, on peut dire que ces chrétiens l’avaient bien cherché.
C’était pas le seul cadeau offert à l’Emir par un souverain chrétien. Pour ces mêmes raisons, Alexandre II, le Tsar de Russie avait décerné à l’Emir l’Ordre de l'Aigle blanc et Napoléon III, l’Empereur des français, lui attribua les insignes de Grand ’Croix de la Légion d’Honneur. C’était en août 1860, quelques jours après le débarquement des troupes françaises au port de Beyrouth, arrivées au Liban en « forces protectrices des chrétiens sans
défense noyés au milieu de la barbarie musulmane ». C’est de là que date l’apparition de la notion d’ingérence humanitaire, une dérivée de la mission civilisatrice. Les publicistes français ont glorifié la conduite chevaleresque de l’émir Abdelkader et, à cette occasion, ont fait de lui « l’ami de la France ».
Le président Abraham Lincoln mourut assassiné, le tsar Alexandre II finit lui aussi par être assassiné et l’empereur des français, en tête de ses 83000 soldats, finit par capituler devant Bismarck, chancelier prussien et futur
Empereur allemand, qui l’emprisonnera puis le relâchera. Napoléon III termina ses jours en exil en Angleterre. Un destin qui n’était pas si différent de celui de l’Emir algérien.
En fait, c’était déjà « Le Grand Jeu », expression que popularisera en 1901 l’écrivain britannique Rudyard Kipling d’abord dans une compétition entre Grande-Bretagne et Russie puis suivies par d’autres joueurs. Ici, au milieu du XIXe siècle, la cible était l’Empire Ottoman. Les chrétiens du Levant ont joué contre les ottomans le rôle confié aujourd’hui aux kurdes et aux islamistes contre la Syrie. Il n’y a aucun doute sur le fait que l’Emir Abdelkader voyait l’Empire Ottoman sombrer dans de colossales dettes financières qui finiront par l’emporter comme il voyait venir les appétits des jeunes nations européennes qui n’attendaient qu’un prétexte pour s’emparer des premiers lambeaux. 160 ans plus tard, ce jeu est toujours en cours sous nos yeux. L’Irak, la Syrie, le Liban et l’Iran sont en ligne de mire des mêmes grandes puissances du 19è siècle.
Mais que font les colts de Tebboune dans ce Grand Jeu ?
Angle-mort, le 12 octobre 2021