Benabderrahmane dans le G.20
Créé le 24 septembre 2001 par Décret exécutif, le Conseil National de l’Investissement est composé des ministres des Finances, de la Participation et de la coordination des réformes, des Collectivités locales, du Commerce, de l’Energie et des mines, de l’Industrie, des PME/PMI, de la Coopération et celui de l’Aménagement du territoire. Il est présidé par le premier ministre. Quelques mois plus tard, on y adjoignit le ministre de l’Environnement et celui du Tourisme. Cinq ans plus tard, le 09 octobre 2006, un second Décret exécutif fut publié au Journal Officiel. Il fixe les attributions, la composition, l'organisation et le fonctionnement du Conseil national de l'investissement.
Le 24 novembre 2021, soit vingt ans plus tard jour pour jour, le quotidien Liberté titra : ‟Conseil National de l’Investissement, le tombeau de l’économie″. Dans le corps de l’article, le Premier ministre nous apprit que ‟près de 2 500 projets d’investissement sont en attente de l’aval du Conseil national de l’investissement″. L’auteur de l’article indiqua de son côté que le Conseil ne s’est pas réuni depuis l’élection d’Abdelmadjid Tebboune. Il ajouta que cette vacance imposée au Conseil pendant ‟près de deux années″, explique, en partie ‟cette situation de blocage des investissements″. Sans prendre les précautions en usage depuis la naissance de la Nouvelle République, le journaliste précisa que ″la mise en veilleuse du CNI a eu pour effet le blocage de la dynamique d’investissement, au moment où le pays a grandement besoin de relancer la machine économique. ″
Comment Benabderrahmane surgit-il ?
Aïmene Benabderrahmane semble s’être mis dans la peau d’Ahmed Ouyahia. L’ex-premier ministre, en prison depuis juin 2019, avait la réputation d’un patriote qui travaillait douze heures par jour pour tenter de sortir le pays de la crise contre la volonté de Bouteflika et de son frère, des marocains qui torpillaient ses efforts de cocardier. On sait maintenant que cette notoriété de stakhanoviste était une image fabriquée par les médias de la famille, tous engraissés par l’ANEP, un riche organisme géré par les membres de cette même famille. Avec Zeroual puis Bouteflika, il avait si efficacement agi en président des coulisses que la famille, au sens calabrais du terme, le destinait aux fonctions de président de scène. Mais quand le moment tant attendu est arrivé, Bouazza Ouassini détraqua le programme. En prison depuis avril 2020 où il purge une longue peine et dégradé au rang d’homme de troupe, le djoundi Bouazza paye pour sa périlleuse entreprise. Ouyahia étant cuit, la famille devait lui trouver une doublure puisée de la réserve.
Après neuf années passées comme Censeur à la Banque d’Algérie, Benabderrahmane est nommé gouverneur de ladite banque en novembre 2019 par Abdelkader Bensalah, chef de l’état par intérim. Sept mois plus tard, Abdelmadjid Tebboune, élu président, fait de lui son ministre des finances. Après douze mois, et tout en gardant le portefeuille des finances, il est désigné Premier ministre. Un avancement à la vitesse d’un projectile tiré par un artilleur qui sait comment placer ses pions et progresser sur plusieurs fronts.
Pour quel modèle va-t-il opter ?
Il projette d’organiser une conférence nationale qui aura à ‟traiter les dysfonctionnements dont souffre l'investissement″, s’engage à ‟lever toutes les restrictions administratives à l’investissement″ et promet de ‟créer des emplois et des richesses”. Comment compte-t-il procéder ? Supprimer le Conseil National de l’Investissement et lui substituer des Commissions locales (wilayales) et une Commission nationale placée sous l’autorité du ministère de l’Industrie. Sur quels modèles les conférenciers vont-ils débattre et lequel d’entre eux vont-ils retenir ? Le Gosplan soviétique, ses commissions régionales coiffées par une commission nationale, qui fixait pour chaque branche des investissements à réaliser et des objectifs à atteindre ? Le Commissariat général au Plan de modernisation et d’équipement (CGP) créé à l’initiative de Gaulle et de Jean Monnet ? Le CGP était lui aussi composé de commissions formées par branche professionnelle. Ses fondateurs lui avaient fixé quatre principales missions : 1/ ‟accroître la production et les échanges avec le monde, 2/ ‟porter le rendement du travail au niveau de celui des pays où il est le plus élevé″, 3/ ‟assurer le plein-emploi de la main-d'œuvre″, et 4/ ‟élever le niveau de vie de la population″. L’une d’elles ne s’occupait que de ‟main-d’œuvre″. Dans chacune de ces commissions experts, fonctionnaires, syndicalistes ouvriers et patronaux échangeaient leurs avis sur l’option à privilégier dans une logique de refondation de l’économie française sur des bases nouvelles. Il s’agissait de reconstruire rapidement ce qui a été détruit ou endommagé pendant la guerre et de moderniser lu tissu industriel pour éviter de rester à la traine vis-à-vis des autres pays en reconstruction, la Grande-Bretagne et l’Allemagne en particulier. Ce sera peut-être le MITI (Ministère du Commerce International et de l’Industrie) japonais. L’ancêtre du METI (ministère de l'Économie, du commerce et de l’industrie), nouveau nom du MITI depuis 2001, est considéré à juste titre comme le cerveau à l’origine du miracle économique nippon.
Dans ces trois exemples -et d’autres - il a fallu une puissante administration pour porter ces politiques industrielles sur de longues périodes et il a fallu des cadres de qualité, une maitrise et des ouvriers hautement qualifiés. Aux succès qui ont couronné ces projets il a fallu également fermeté et constance dans les choix économiques et une grande stabilité institutionnelle.
Créé en 1921, le Gosplan soviétique a connu sa première restructuration en 1955 : une structure de planification à long terme et une autre dont les missions se limitaient aux planifications courantes pour les différentes branches. Après 1991, il porta le nom de ministère de l’Economie et en 2008 il est à nouveau scindé entre deux ministères : celui de l’Industrie et du commerce et celui du Développement économique. Fondé en 1946, le CGP français est remplacé en 2006 par le Centre d’analyse stratégique (CAS) qui absorba le Conseil d’analyse économique (CAE). Créé en 1949, le MITI japonais a changé de nom en 2001 ! C’est dans ces structures que se concentre la matière grise, l’élite qui pense à demain.
Ce n’est pas avec des responsables qui compensent leur sous-qualification par le mensonge, ce n’est pas avec une élite militaire et leurs servants politiques faits de caractériels qui bricolent la chose économique comme on bricole un jouet pour enfant et ce n’est pas avec un député FLN, financier de formation, que le squelettique ministère de l’Industrie arrivera à propulser l’Algérie dans le G.20 comme s’engage à le faire le premier ministre. Au mieux, Benabderrahmane fera fantasmer ceux qui vivent de bobards.
Angle-mort, le 28 Novembre 2021