Du bachagha à la patronne.
Le 05 septembre dernier, Saïda Neghza, présidente de la Confédération Générale des Entreprises Algériennes (C.G.E.A.), adressa une lettre à Abdelmadjid Tebboune, président de la République. La lettre est en fait un « compte-rendu, un rapport sur la situation socio-économique du pays ». Cinq jours plus tard, la réponse arriva sous la forme d’un revers à 2 mains (Présidence via A.P.S). Le coup était si violent qu’il déporta la patronne de la C.G.E.A. hors du terrain de la bienséance, ce qui n’est pas l’exception dans ces milieux. Le 12 septembre, elle répliqua. Dans un message vocal, opportunément fuité, elle déversa son courroux sur le pitoyable directeur de l’A.P.S. qu’elle menaça de pires humiliations tout en sachant que l’auteur de la réponse publiée par l’agence de presse est l’ancien conseiller à la communication de Cevital passé à El-Mouradia lors du Mercato de décembre 2019. Dans ce message vocal, Saïda Neghza profère des menaces et déploie un bouclier, une mesure défensive préventive pour parer toute riposte possible du camp ennemi. L’atout maître qu’elle étale est : « je ne crains rien tant qu’il y a des hommes en Algérie, tant qu’ils sont debout avec les képis sur leurs têtes, je n’ai rien à craindre. »
A une question de l’animateur de l’émission « Bila Qoyoud » sur El-Bilad-tv, le 11 décembre 2016 sur les relations de Saïda Neghza avec l’ex-patron du D.R.S, euphorique, cette patronne répondit : « si le général Mediene m’appelait, je serais prête à le rejoindre en rampant. »
Le même jour, commentant dans une vidéo ce duel entre Saida Neghza et la présidence par l’A.P.S interposée, le youtubeur Abdou Semmar implore ce qu’il désigne par l’expression flatteuse mais vicieuse de « forces vives du régime », l’autre appellation de l’élite militaire, d’empêcher coûte que coûte Abdelmadjid Tebboune de postuler pour un second mandat. Sur divers thèmes, Saïd Bensdira, l’autre troufion affecté sur Youtube, affirme en toutes circonstances que « le rangers est la solution » à tous les problèmes du pays.
D’où vient cette vénération des algériens pour la Caserne, le gourdin, qui, à n’en pas douter, est de même nature que le culte que portent les marocains au Trône, à la trique ?
Revenons sur cette pérennité qui dure certainement depuis l’ordre imposé à la Régence d’Alger par les janissaires.
L’insurrection du bachagha El Moqrani contre les civils :
« Le caïd des Beni-Ourtillan, si Mohammed-Tahar Aktouf affirma, en 1873 il est vrai, qu’il s’agissait d’une « simple manifestation » : « on ne s’est pas insurgé contre la France. Le mot d’ordre des chefs a toujours été : guerre au gouvernement civil. Vous payerez plus d’impôts ; vos femmes témoigneront en justice. Les roumis prendront vos terres. Mais le 28 mai 1971 cinq caïds déjà révoltés acceptèrent de rencontrer le colonel Bonvalet et lui déclarèrent : « le jour où l’ordre règnera chez vous, le jour où vous aurez un gouvernement et une armée, nous serons les premiers à revenir à vous et à vous ramener les tribus qui nous écouteront parce que notre honneur et notre crédit seront restés intacts ».
Ben Âli Cherif expliquait en 1872 à l’un de ses amis français : « tant que le çoff militaire a été puissant nous avons eu confiance, puis nous avons vu ici même les journaux des civils vous insulter et vous ne répondiez rien. Alors, effrayés, humiliés, craignant de voir arriver la domination de ces hommes qui ne veulent que notre ruine et notre extermination, nous avons pris les armes. »
Devant la cour d’Assises de Constantine, Boumezrag déclarait avoir voulu faire face à « la populace qui prétendait gouverner l’Algérie » : je me suis battu contre les civils, non contre la France, ni pour la guerre sainte. » Enfin le plus net n’est-il pas El Moqrani lui-même : « les civils ont travaillé à la ruine de l’Empereur : ils se sont concertés pour renverser les militaires et les chefs indigènes afin d’avoir seuls l’administration du pays. Ils frappent les Arabes d’impôts considérables ; ils leur prendront leurs terres ; ils ne respecteront ni leurs mœurs ni leur religion. Dans sa lettre de rupture écrite au général Augeraud, El Moqrani déclarait avec solennité : « je ne veux pas accepter votre République, car depuis qu’elle a été proclamée je vois des choses horribles…si vous étiez gouvernés par un homme de race, je n’hésiterais pas…je ne puis accepter d’être l’agent du gouvernement civil ; je n’obéirai qu’à un sabre, dût-il me frapper ». (1)
Note :
(1) - C.-R. Ageron : Les Algériens musulmans et la France (1871-1919) T.1, PUF 1968.
Angle mort le 18 sept. 2023